L’esprit de l'humour juif
Qu'y a-t-il de commun entre Rabbi Jacob, Annie Hall et Astérix le Gaulois? Les créateurs de ces personnages partagent tous, en plus de leur talent comique, des racines juives. Et c'est notamment grâce à leur succès que cet humour a gagné en popularité dans le monde entier, mais cette inspiration plonge ses racines dans la plus ancienne tradition.
Gymnastique de l’esprit
Quand Dieu lui a demandé «où est ton frère?», Caïn lui a répondu par une autre question: «Suis-je le gardien de mon frère?» Et c’est depuis lors que les juifs ont appris à répondre à une question par une autre question…*
Cette blague est caractéristique de l’humour juif à plusieurs titres. Elle souligne une tournure d’esprit qui leur est propre – une certaine propension à jouer avec les mots, à retourner les raisonnements, mais aussi à plaisanter sur un contexte dramatique. Elle montre également que cette tradition est ancienne et s’exerce même sur les textes les plus fondamentaux du Judaïsme.
«Depuis plus de vingt siècles, les juifs ont scruté les moindres recoins des versets bibliques», souligne Victor Malka. «On leur a enseigné dès l’enfance que tout juif a pour devoir impérieux de renouveler le sens de ces textes et d’y apporter de nouveaux éclairages». Or l’humour a très tôt été associé à ces études, note encore l’auteur, car les rédacteurs de l’encyclopédie du Talmud ont eux-mêmes montré la voie. Pour aiguiser leur verve et pour éviter de se prendre trop aux sérieux, ces sages inauguraient en effet volontiers leurs séances par quelques plaisanteries.
Dénoncer la vanité, prendre de la distance
Seigneur, tu nous as choisis entre toutes les nations, mais pourquoi fallait-il que tu tombes justement sur les juifs? Face à la stricte logique talmudique et à ses règles, si difficiles à tenir, le rire est libérateur. Pour supporter les conditions invivables et les absurdités de l’existence, l’humour est peut-être l’arme ultime. Et ce n’est sûrement pas pour rien que les juifs l’ont emmené partout dans leurs bagages.
On retrouve là les ingrédients des comédies les plus fameuses. Le personnage sur lequel le destin s’acharne et qui se débat dans des situations de plus en plus inextricables, ne vous rappelle rien? Il nous ramène tout droit aux Billy Wilder, frères Coen et autres Woody Allen, qui l’ont maintes fois porté à l’écran. A l’auteur de «Certains l’aime chaud» justement, qui a fui l’Europe tôt, en 33, on prête ce trait d’esprit typique de l’humour juif et du regard tragi-comique qu’il porte sur l’existence. Il y a les optimistes et les pessimistes. Les optimistes sont morts à Auschwitz et les pessimistes ont une piscine à Beverlly Hills.
Il ne faut pas confondre les witz avec les prétendues «blagues juives», aux accents antisémites, précise cependant Victor Malka. Celles-ci se réduisent souvent à des caricatures sur les juifs et sur leur rapport à l’argent. Or ce thème n’est pas absent du folklore juif. Mais loin de l’envisager de façon cynique, les plaisanteries juives qui traitent de cet aspect, visent plutôt à rappeler une certaine sagesse - Avoir été malade n’est rien, avoir été riche, ça c’est un malheur.
"Tu riras de ton prochain comme de toi-même"
L’intitulé de la conférence donnée dimanche à la synagogue de Lausanne, donne le ton. Nadia Guth Biasini qui coordonne la Journée européenne de la culture juive, se réjouit que cette 13ème édition ait trouvé «un si bon ambassadeur». Organisée simultanément dans vingt-huit pays européens, cette journée rencontre habituellement beaucoup de succès. De Genève à Delémont, en passant par Lausanne et la Chaux-de Fonds, (pour ne citer que les villes romandes), les communautés israélites proposent visites guidées, spectacles et conférences.
*Les citations proviennent toutes de Victor Malka «Mots d’esprit de l’humour juif», Editions du Seuil 2006