Genève a mis long avant d'honorer la mémoire de Calvin
De Calvin, Genève n’a honoré la mémoire que tardivement, avec la construction en 1867 d’une salle de la Réformation à l’angle de la rue du Rhône et du boulevard Helvétique, puis, en 1917, avec le Mur des Réformateurs érigé aux Bastions
Dans un livre qui vient de paraître, « Croire à Genève », l’écrivain Luc Weibel restitue l’histoire de cette salle destinée à l’évangélisation qui a fini sa carrière, dans les années 60, comme temple du rock, avant d’être rasée. Qui se souvient à Genève de la salle de la Réformation ? Les « baby boomeurs » se rappellent sans doute les concerts de rock et les récitals des vedettes de la chanson française qui y attirèrent une foule de jeunes ; les anciens soixante-huitards se souviennent, eux, d’avoir dénoncé en son temps les harangues que Georges Oltramare, directeur de l’Union Nationale d’inspiration fasciste, y avait tenues en 1936. Les mélomanes, eux, n’ont pas oublié les concerts qu’y donna l’Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d’Ernest Ansermet. C’est dans cette salle que le chef créa « In terra pax » de Franck Martin. Les pacifistes, eux, savent que la salle accueillit depuis 1919 les assises de la Société des Nations (SDN), créée au lendemain de la Première Guerre mondiale afin de trouver des solutions négociées aux conflits. Pour l’occasion, la salle avait été complètement rénovée et rendue sensiblement plus confortable. C’est là qu’Aristide Briand enflamma son auditoire à maintes reprises.
Mais qui connaît véritablement l’histoire de cette salle avant le tournant du 20e siècle ? Les chroniqueurs de l’époque la décrivent comme « d’une austérité excessive », voire « «franchement lugubre, tant intérieurement qu’extérieurement », répondant bien à l’austérité calviniste revendiquée de ses promoteurs, regroupés dans une Alliance Evangélique dont le but était d’évangéliser les masses et de lutter contre l’expansion de la libre-pensée, du scepticisme croissant et de l’immigration catholique qui inquiétaient les protestants. A l’origine de la Salle de la Réformation, deux hommes, l’un banquier, l’autre théologien : l’un était le Genevois Alexandre Lombard, fils de l’un des fondateurs de la Société biblique de Genève, l’autre Jean-Henri Merle d’Aubigny, théologien et historien de Luther, de Calvin et de la Réforme. Les deux hommes estimaient qu’il fallait « contrer l’offensive papale qui visait à la reconquête de Genève avec l’appui des Jésuites ».
Peu à peu, ils en vinrent à concevoir, non pas un monument ou une statue à la gloire de Calvin, mais un édifice de grande envergure pour affirmer la présence protestante dans la cité et devenir « une pêcherie d’hommes vivants ». La salle, qui devait s’appeler le Calvinium, pour toucher un plus vaste public que les habitués des sermons dominicaux, souvent de trop haute volée pour être compris du peuple. Agénor de Gasparin fut un des premiers orateurs de la Salle de la Réformation inaugurée en 1876. Cette figure du protestantisme français établi en Suisse faisait partie du courant chrétien qui voulait réconcilier l’Evangile et les droits de l’Homme. Il déplaît à Frédéric Amiel qui le traite dans ses écrits d’apologète, estimant « qu’un homme est plus intéressant que dix théologiens ».
Au fil des ans, la Salle de la Réformation accueille des conférences-cultes et devient, selon les termes du chroniqueur du journal genevois « L’alliance libérale », une « boîte d’orthodoxie, le quartier général de la réaction religieuse, l’asile de l’Union évangélique ».
En 1882, coup de tonnerre dans le ronron évangélique : la salle accueille un colonel de l’Armée du Salut accompagné d’une jeune prêcheuse, la maréchale Catherine Booth. Cette dernière prend la parole devant une assemblée surchauffée qui déborde sur l’escalier et dans la rue. La présence d’une oratrice féminine suscite l’émotion et provoque le scandale. S’ensuivent des scènes tumultueuses. « Le Genevois », journal de Georges Favon, qui représente la gauche radicale, se gausse de « ces baroques illuminés qui promènent dans le monde leur apostolat incohérent et galonné, ces colonels de lutrin, ces lieutenants d’harmonica ». Confronté à la polémique, le Conseil d’administration de la Salle de la Réformation décide de maintenir dans les locations ultérieures prévues les réunions d’évangélisation de l’Armée du Salut, celles- ci correspondant en fait exactement aux but des fondateurs. Si la polémique a fait rage pendant quelques temps, l’idée de l’égalité hommes femmes, que défendait l’Armée du Salut, faisait son chemin. Les femmes purent désormais participer aux conférences jusque-là réservées aux hommes. En 1877, la Salle accueillit le congrès de la Fédération abolitionniste de Joséphine Butler, féministe de la première heure, engagée dans tous les combats ayant pour but de permettre à la femme de travailler et d’obtenir son autonomie juridique et financière.
Si la Salle de la Réformation a été rasée par les bulldozers pour faire place à des immeubles plus rentables en pleine ville, une Maison de la Réformation a pris sa succession au cœur du quartier de la Jonction. On y trouve entre autres aujourd’hui le centre paroissial de la Jonction, le centre œcuménique de catéchèse dans lequel catholiques et protestants travaillent main dans la main, le Centre Social protestant et 53 logements HLM.Croire à Genève, Luc Weibel, 2006, éd. Labor et Fides.
Mais qui connaît véritablement l’histoire de cette salle avant le tournant du 20e siècle ? Les chroniqueurs de l’époque la décrivent comme « d’une austérité excessive », voire « «franchement lugubre, tant intérieurement qu’extérieurement », répondant bien à l’austérité calviniste revendiquée de ses promoteurs, regroupés dans une Alliance Evangélique dont le but était d’évangéliser les masses et de lutter contre l’expansion de la libre-pensée, du scepticisme croissant et de l’immigration catholique qui inquiétaient les protestants. A l’origine de la Salle de la Réformation, deux hommes, l’un banquier, l’autre théologien : l’un était le Genevois Alexandre Lombard, fils de l’un des fondateurs de la Société biblique de Genève, l’autre Jean-Henri Merle d’Aubigny, théologien et historien de Luther, de Calvin et de la Réforme. Les deux hommes estimaient qu’il fallait « contrer l’offensive papale qui visait à la reconquête de Genève avec l’appui des Jésuites ».
Peu à peu, ils en vinrent à concevoir, non pas un monument ou une statue à la gloire de Calvin, mais un édifice de grande envergure pour affirmer la présence protestante dans la cité et devenir « une pêcherie d’hommes vivants ». La salle, qui devait s’appeler le Calvinium, pour toucher un plus vaste public que les habitués des sermons dominicaux, souvent de trop haute volée pour être compris du peuple. Agénor de Gasparin fut un des premiers orateurs de la Salle de la Réformation inaugurée en 1876. Cette figure du protestantisme français établi en Suisse faisait partie du courant chrétien qui voulait réconcilier l’Evangile et les droits de l’Homme. Il déplaît à Frédéric Amiel qui le traite dans ses écrits d’apologète, estimant « qu’un homme est plus intéressant que dix théologiens ».
Au fil des ans, la Salle de la Réformation accueille des conférences-cultes et devient, selon les termes du chroniqueur du journal genevois « L’alliance libérale », une « boîte d’orthodoxie, le quartier général de la réaction religieuse, l’asile de l’Union évangélique ».
En 1882, coup de tonnerre dans le ronron évangélique : la salle accueille un colonel de l’Armée du Salut accompagné d’une jeune prêcheuse, la maréchale Catherine Booth. Cette dernière prend la parole devant une assemblée surchauffée qui déborde sur l’escalier et dans la rue. La présence d’une oratrice féminine suscite l’émotion et provoque le scandale. S’ensuivent des scènes tumultueuses. « Le Genevois », journal de Georges Favon, qui représente la gauche radicale, se gausse de « ces baroques illuminés qui promènent dans le monde leur apostolat incohérent et galonné, ces colonels de lutrin, ces lieutenants d’harmonica ». Confronté à la polémique, le Conseil d’administration de la Salle de la Réformation décide de maintenir dans les locations ultérieures prévues les réunions d’évangélisation de l’Armée du Salut, celles- ci correspondant en fait exactement aux but des fondateurs. Si la polémique a fait rage pendant quelques temps, l’idée de l’égalité hommes femmes, que défendait l’Armée du Salut, faisait son chemin. Les femmes purent désormais participer aux conférences jusque-là réservées aux hommes. En 1877, la Salle accueillit le congrès de la Fédération abolitionniste de Joséphine Butler, féministe de la première heure, engagée dans tous les combats ayant pour but de permettre à la femme de travailler et d’obtenir son autonomie juridique et financière.
Si la Salle de la Réformation a été rasée par les bulldozers pour faire place à des immeubles plus rentables en pleine ville, une Maison de la Réformation a pris sa succession au cœur du quartier de la Jonction. On y trouve entre autres aujourd’hui le centre paroissial de la Jonction, le centre œcuménique de catéchèse dans lequel catholiques et protestants travaillent main dans la main, le Centre Social protestant et 53 logements HLM.Croire à Genève, Luc Weibel, 2006, éd. Labor et Fides.