«Pendant longtemps, la psychiatrie s’est méfiée et distancée du religieux»

«Pendant longtemps, la psychiatrie s’est méfiée et distancée du religieux»

Aumônière en psychiatrie pendant plus de 25 ans, Madeleine Lederrey, prendra sa retraite mi-septembre
Retour sur l’évolution des rapports entre psychiatrie et religion pour le bien des patients. Interview.

Photo: Madeleine Lederrey

Guidée depuis l’adolescence par l’envie d’aider les personnes marginalisées et en recherche de sens, Madeleine Lederrey a étudié la théologie à l’Université de Genève. Après avoir travaillé en paroisse, elle renoue avec son projet premier et postule comme aumônière en psychiatrie dans le canton de Fribourg, un poste qu’elle occupera pendant près de 14 années avant de rejoindre l’aumônerie de l’hôpital de Cery, dans le canton de Vaud. Deux semaines avant de prendre sa retraite, la pasteure a rencontré Protestinfo.

Avez-vous remarqué, pendant votre carrière, une évolution des rapports entre la psychiatrie et la religion?

Oui, j’ai remarqué une évolution, toujours en cours, au niveau des soignants. Pendant longtemps, la psychiatrie s’est méfiée et distancée du religieux. Elle avait besoin de se démarquer de l’approche spirituelle. D’ailleurs, c’est dans ce milieu qu’il y avait le moins de pratiquants parmi les soignants, mais maintenant, il y a de plus en plus de thérapeutes qui n’ont rien contre l’Eglise, car ils n’en font simplement pas partie et en ont peu de connaissances. De ce fait, ils se montrent curieux. Et d’un autre côté, de plus en plus d’entre eux viennent d’autres parties du monde où la religion a encore une importance reconnue.

De plus, ces dernières années, des études scientifiques ont commencé à montrer que la spiritualité avait souvent un effet bénéfique sur les personnes atteintes de maladies psychiques. J’ai l’impression qu’on est progressivement devenu moins dogmatique, on essaie d’être le plus concret possible, avec une approche pluridisciplinaire. Et peut-être que cela tient aussi au fait que l’Eglise a beaucoup moins de pouvoir que par le passé.

En tant qu’aumônière, qu’apportez-vous de plus aux patients que les autres intervenants de l’équipe soignante?

Nous n’avons pas de médicament, pas de planning de soin. L’idée n’est pas de soigner les patients, mais de les rencontrer et d’être à l’écoute. Notre grille d’écoute est différente. Nous sommes attentifs à la dimension spirituelle, à tout ce qui touche à la recherche de sens, mais surtout à l’identité profonde. Certaines personnes ne se sentent même plus vivre, même plus exister. Nous essayons donc de leur faire sentir qu’elles sont vivantes et qu’elles ont leur place dans la vie, mais il n’y a pas de méthode précise, si ce n'est que nous pratiquons une écoute active. Je pars de ce que la personne me dit ou exprime d’elle-même. Et c’est cela que je prends en compte durant le temps de notre rencontre, tout en sachant qu’il n’y a pas forcément le projet de se revoir. La rencontre peut n'avoir lieu qu’une fois.

Y a-t-il des questions ou des angoisses récurrentes chez les patients que vous rencontrez?

J’ai toujours l’impression que chaque rencontre est nouvelle, mais je remarque que beaucoup de personnes sont préoccupées par des questions de vie ou de mort: est-ce que ça vaut encore la peine de vivre? Les personnes ressentent un sentiment d’exclusion. Elles ne l’expriment pas dans ces termes-là, mais je constate qu’elles ont besoin de retrouver une sorte de dignité perdue, de retrouver une estime de soi. Et pour moi, ce sont des problématiques qui touchent la dimension spirituelle. Qu’est-ce qui fait mon identité quand j’ai perdu mon métier? Quand je n’ai plus de situation sociale? Quand je suis délirant? Ou quand mes propos ne sont pas pris au sérieux?

Majoritairement, de quelle confession sont les personnes qui viennent vous voir?

Je pense que la majorité des personnes que je rencontre sont sans appartenance religieuse. Par contre, les patients avec lesquels nous avons un suivi sont plutôt de tradition chrétienne, catholique, réformée et évangélique. Un certain nombre d’évangéliques nous demandent des accompagnements. Pour la plupart, ils ont trouvé une sorte de sécurité cadrante dans une Eglise. Puis avec la maladie et le fait qu’ils n’arrivent parfois pas à suivre ce cadre très précis, ils se sentent rejetés et parfois le sont réellement quand ils ont des comportements, de par leur maladie, qui sont trop hors normes.

Parallèlement, 60% des patients sont des migrants qui viennent de pays où les pratiques religieuses sont plus fortes qu’ici. Et on pourrait croire qu’il est plus facile de rencontrer des croyants, mais ce n’est pas forcément le cas, car nous n’avons pas la même manière de croire, pas les mêmes pratiques ni les mêmes priorités. Les réfugiés recherchent une protection dans ces moments où ils se sentent complètement abandonnés, ils recherchent également une communauté qui les soutient et les accompagne, alors qu’en Suisse nous sommes beaucoup plus dans une recherche individuelle afin de donner du sens à sa vie.

Pendant longtemps, les troubles psychiques, la folie, ont été associés à la possession. Avez-vous rencontré des personnes qui se croyaient possédées?

Oui, mais ce n’est pas lié à leur religion, ni même à une croyance qu’ils auraient héritée de leur famille. Dans une décompensation psychotique, il y a, je crois, le sentiment d’être aux prises avec des forces que le patient ne maîtrise pas, des forces qui sont au-delà de lui, ou qu'il perçoit comme venant d'en dehors de lui-même. Il ne peut pas imaginer que ce soit son psychisme qui produit cela. Il est donc dépossédé de sa manière de réagir et cette perte lui donne l’impression d’être possédé, c’est le propre de la maladie. Alors certains utilisent le vocabulaire religieux pour l’exprimer et d’autres imaginent, par exemple, qu’ils sont télécommandés par des forces qui viennent de mars.