Les enseignements poussiéreux pourraient bien favoriser la «culture du viol»

Les enseignements poussiéreux pourraient bien favoriser la «culture du viol»

Officiellement, la doctrine mormone a changé en ce qui concerne les femmes qui perdent leur virginité lors d’une agression sexuelle. Mais les vieux préceptes continuent de culpabiliser les femmes et déresponsabiliser les hommes.

Photo: Le temple de Salt Lake City de l’Eglise des saints des derniers jours ©Jim Urquhart/REUTERS/RNS

et Arin Alberty, «Salt Lake Tribune»/RNS/Protestinter

Mieux vaut être pure et morte que souillée et vivante. Ce mantra mormon a, semble-t-il, résonné dans la tête d’une étudiante de l’Université Brigham Young en 1979 quand elle a sauté de la voiture, alors engagée sur une autoroute, de l’homme qui s’apprêtait à abuser d’elle. La jeune fille croyait qu’être victime d’un viol lui volerait sa vertu – sa virginité – un bien qu’elle ne pourrait jamais récupérer. Sa vie serait finie, pourquoi ne pas sauter?

Ce message a été prêché régulièrement par les responsables de l’époque de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours (mormons) et figure également dans un livre largement diffusé du président Spencer W. Kimball, «The Miracle of Forgiveness» (le miracle du pardon). Il y est mentionné dans une prise de position du premier président, dans laquelle il défend l’idée que seule une femme qui aurait résisté de «de toutes ses forces et avec toute son énergie» ne serait pas jugée «coupable de ne plus être vierge.» Cet enseignement a été transmis de génération en génération durant des décennies, présumant souvent que le viol était d’une façon ou d’une autre consensuel – et faisant porter une lourde responsabilité sur les femmes victimes.

Aujourd’hui, dans sa doctrine officielle, l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours a une approche bien plus saine de cette question. Les victimes de viol «souffrent souvent de traumatisme sérieux et se sentent responsables.» Mais «elles ne sont coupables d’aucun péché», peut-on lire dans le premier manuel pour les responsables locaux. «Les responsables d’Eglise devraient agir avec bienveillance envers de telles victimes et leur apporter soutien et empathie pour surmonter les effets de l’abus.»

Les vieilles idées ont la peau dure

Dans les conférences mormones, on enseigne toujours aux jeunes filles que «vertu» est un proche synonyme de «chasteté». Les femmes mormones, en particulier dans les écoles appartenant à cette Eglise, continuent d’être bombardées par l’idée qu’elles sont au moins partiellement responsable des agressions sexuelles qu’elles pourraient subir de par le choix de leur vêtement ou l’énergie avec laquelle elles repoussent leur assaillant.

Récemment, plusieurs étudiantes de l’Université Young Brigham qui ont déclaré avoir été violée, ont fait l’objet d’enquêtes par les services de l’école pour s’assurer que des infractions au code d’honneur très strict de l’institution n’auraient pas pu être à la cause de leur agression, comme par exemple boire, sortir tard ou se rendre dans les chambres des garçons.

Quelques voix, telles que celle de Michael Austin diplômé de Brigham Young, prévôt et vice-président des affaires académiques à l’Université Newman (un collège catholique de Wichita dans le Kansas), s’élèvent pour dénoncer certains à priori qui ont la vie dure, parmi lesquelles la croyance que les femmes sont responsable du comportement sexuel des hommes; qu’elles mentent à propos de leurs tentatives de se défaire de leur agresseur, ou qu’elles seraient en sécurité si simplement elles respectaient les consignes de l’école et de l’Eglise.

Certains mormons «se sont élevés et ont accusé les femmes d’enfreindre les règles», écrit-il dans un blog. «Cela implique clairement qu’être violé est une punition qu’elles méritent, car, vous savez, se sont des pécheresses.» Plus perturbant encore, pour Michael Austin, c’est que cela fait écho à ce que les jeunes mormons apprennent à l’Eglise au sujet de la modestie, de la sexualité et des questions de genre. «Je peux faire un lien entre ce que ma fille apprend à Young Women (NDLR l’organisation mormone pour les filles de 12 à 17 ans), et ce qui se passe à l’Université Brigham Young».

Double contrainte

«Alors que les enseignements mormons appellent garçons comme filles à rester chastes jusqu’au mariage, trop souvent ils n’entendent pas le même message au sujet de la sexualité», explique la thérapeute mormone basée à Chicago Jennifer Finlayson-Fife. «Aux garçons, ont dit qu’ils ont une libido naturelle, ce qui est normal quand on est un homme», explique-t-elle. «Ils sont acteurs des situations sexuelles, mais on leur apprend aussi qu’ils ne peuvent pas contrôler cela.» D’autre part, les femmes sont formées dans l’idée qu’elles peuvent être des objets sexuels, mais que contrairement aux hommes, elles n’ont pas de désir. «La féminité est construite comme asexuelle», résume Jennifer Finlayson-Fife. Elles sont le «conducteur responsable» dans ces interactions, compare-t-elle. «Fautive en cas de relation sexuelle par la façon dont elles s’habillent ou se comportent et chargée de fixer les limites.» On attend des mormones qu’elles soient gentilles, respectueuses et arrangeantes ce qui concerne les besoins des hommes, mais aussi responsables de repousser les avances des hommes. «C’est une double contrainte», analyse la thérapeute. Et selon elles, de telles dynamiques se jouent encore et encore dans les relations entre mormons.

Par exemple le cas de Meagan Leyva. Cette étudiante de première année à Brigham Young sortait avec un garçon de 25 ans, missionnaire mormon de retour d’une affectation. Il étudiait dans la toute proche Université d’Utah Valley et vivait dans les logements de Brigham Young. Un soir de janvier 2014, «nous avons fait un peu la fête et tard dans la nuit il m’a prise», se souvient Leyva. «J’étais un peu dans le coltard, mais je n’ai pas cessé de dire que je ne voulais pas de relation sexuelle… et puis c’est arrivé.» Elle dit s’être sentie «violée», mais aussi coupable. Elle avait enfreint le code d’honneur en étant dans son appartement, tout particulièrement à une heure aussi tardive. Leyva explique: «Si je ne n’étais pas allé chez lui, rien de tout cela ne serait arrivé. Alors d’une certaine façon la culpabilité revenait sur moi. Je me sentais mal. Je savais que ce qu’il avait fait été mal, mais je savais que j’étais aussi dans mon tort.» Il devait être 4 ou 5 heures du matin lorsqu’elle a quitté l’appartement de son agresseur. «Nous étions en janvier et forcément, il faisait froid... Je portais à la main ma blouse et mon soutien-gorge et n’étais habillée que d’un sweat-shirt… il neigeait… Je trouvais cela ironique: toute cette blancheur, cette pureté et moi qui désormais n’était plus pure.» Leyva explique que si elle n’a pas signalé l’agression à la police c’est parce qu’il lui a fallu des mois pour se rendre compte que ce qui lui était arrivé relevait clairement du viol.

Les mormons jugent rapidement les femmes lors de situations telles que celle vécue par Leyva, regrette Jennifer Finlayson-Fife. «Nous voulons détourner le regard de la cruauté humaine. Nous voulons croire que d’une façon ou d’une autre, ce qui arrive à ces femmes était mérité. Nous voulons croire qu’une telle jeune fille aurait dû être capable de mieux contrôler la situation. Cela nous permet de nous sentir mieux.» La thérapeute de Chicago aimerait que le respect du code d’honneur ne soit pas mis en lien avec les accusations d’agression sexuelle. «Nous voulons que les victimes puissent aller de l’avant et que leurs agresseurs ne se trouvent plus sur leur chemin.» En outre, Jennifer Finlayson-Fife est catégorique: la notion chère aux mormons de repentance ne devrait pas trouver place dans une enquête liée à une accusation de viol. Toutefois, tous les évêques de l’Eglise des saints des derniers jours ne font pas la distinction.

Un message dérangeant

Très apprécié, Spence W. Kimball a publié en 1969 «Miracle of Forgiveness» (Le miracle du pardon). La perte de la chasteté a «une grande portée», a-t-il écrit. «Une fois donnée, prise ou volée, elle ne peut jamais être récupérée. Il vaut mieux mourir en tentant de défendre sa vertu que de vivre en l’ayant perdue sans se battre.»

En 1998, une convertie mormone de 18 ans de New York a été violée par son petit-ami. Cette femme, qui a préféré garder l’anonymat, était terrifiée à l’idée que ses parents catholiques ne tuent le jeune homme, si elle leur parlait de l’agression. Elle a alors contacté son évêque mormon pour tenter d’obtenir de quoi s’acheter un test de grossesse. Il lui a donné l’argent et une copie de «Miracle»

Aujourd’hui âgée de 36 ans, cette femme raconte qu’elle a alors été «excommuniée», par l’évêque, qui la connaissait depuis son baptême, quatre ans plus tôt. Elle s’est vue interdire de prendre les sacrements ou la communion, de parler dans l’église, de s’engager pour l’église ou te pratiquer un quelconque rituel. «J’ai été mise sur liste noire», explique-t-elle. «J’étais un pilier d’église. Tout ce que je voulais, c’était une magnifique robe blanche et des enfants. Le violeur m’a privée de tout cela.» Aujourd’hui, résidente de Salt Lake City, elle déclare: «j’avais déjà assez de peine à me pardonner ce qui était arrivé. Le bouquin de Kimball n’a fait qu’empirer les choses!»

Des réponses aussi inappropriées à des victimes d’agressions sexuelles sont, aujourd’hui encore, données sur les campus mormons et ailleurs.

Renverser la honte

Michael Austin, l’administrateur d’université au Kansas, insiste: «il est temps que les mormons renversent l’usage qu’ils font de la honte.» La honte est un outil culturel puissant qui permet de renforcer les normes sociales. «Mais nous sommes parvenu à ce que les victimes ce sentent honteuses et non les prédateurs.» A la place, explique-t-il, «les hommes devraient se sentir coupables de considérer les femmes comme objet et pour refuser la responsabilité de toute action coercitive.»

Professeur de physique retraité de l’Université Brigham Young, Kent Harrison qui a travaillé depuis 1979 à faire changer les attitudes dans son école comme dans sa congrégation pense que les approches de la question du viol ont changé au fil de temps. «Mon impression est que l’ancienne attitude – plutôt mort que non-vierge – a presque disparu», estime-t-il. «Mais la question du viol n’est toujours quasiment pas abordée lors des conférences générales ou sur le site web de l’église.»

Même la plus célèbre victime de viol du mormonisme, Elizabeth Smart, a intériorise le sentiment de dégout de soi quand elle se faisait régulièrement violer par son ravisseur. A l’âge de 14 ans, entre 2002 et 2003, elle a été séquestrée durant neuf mois par un homme qui abusait d’elle. Lors de ses conférences, elle explique que si elle ne cherchait même plus à s’échapper c’est parce qu’elle se sentait «comme un vieux chewing-gum. Personne ne mastique à nouveau un chewing-gum usagé, on ne fait que le jeter.» Une analogie qu’elle avait entendue dans son enfance. Aujourd’hui, la femme de 28 ans équilibrée, maman et militante, sait que cette comparaison ne tient pas la route. Et que la vertu de personne en peut être volée.