Pierre-Yves Brandt: «L’idéal serait que le personnel soignant et les aumôniers puissent travailler en coordination»

Pierre-Yves Brandt: «L’idéal serait que le personnel soignant et les aumôniers puissent travailler en coordination»

La dimension spirituelle dans les soins est une thématique actuelle parce qu’elle questionne la prise en compte du religieux dans l’espace publique. Un ouvrage collectif Spiritualité en milieu hospitalier, paru en début d’année, fait le point sur cette problématique.

Propos recueillis par Emmanuelle Jacquat

Spiritualité en milieu hospitalier, édité par le professeur de psychiatrie communautaire, Jacques Besson, et le professeur de psychologie de la religion, Pierre-Yves Brandt, est composé de contributions présentées lors d’un colloque, organisé en mai 2014. Ce livre propose une réflexion sur l’accompagnement spirituel et les transformations du métier d’aumônier dans divers modèles de soins hospitaliers. Protestinfo a rencontré l’un des éditeurs, le prof. Pierre-Yves Brandt. Interview

La dimension spirituelle en milieu hospitalier semble bien comprise en ce qui concerne la fin de vie et les soins palliatifs. Mais qu’en est-il des autres services?

En ce qui concerne les soins palliatifs, quand vous êtes dans une perspective, non pas de guérison, mais de meilleure qualité de vie dans les derniers mois ou semaines, vous vous focalisez sur l’ensemble des choses qui concernent le patient ou l’intéressent. Les questions de sens deviennent plus centrales et souvent, avec elles, les questions de spiritualité.

Si c’est effectivement dans les soins palliatifs et en oncologie que des modèles d’accompagnement de longue durée se sont d’abord mis en place, cela a tendance à s’étendre dans d’autres services. On commence à réaliser que de tenir compte des préoccupations du patient amène à une meilleure qualité de vie pendant le séjour en hôpital. Du reste depuis une vingtaine d’années, des articles médicaux cherchent à démontrer les bénéfices d’une prise en compte de la dimension spirituelle dans les soins. Cependant, dans le milieu hospitalier, cela dépend énormément du personnel soignant. Il y a des personnes dont l’arrière-fond est antireligieux et qui ne voudront rien avoir à faire avec la dimension spirituelle, alors que d’autres sont beaucoup plus ouvertes à ce qu’il y ait une prise en charge plus globale de la personne.

La problématique de l’accompagnement spirituel dépend donc du personnel soignant?

A l’hôpital, le pouvoir est plus précisément entre les mains du personnel médical. Et je pense que c’est en voyant que la dimension spirituelle est un facteur qui compte que les médecins vont l’intégrer dans les soins. Mais pour que cela fonctionne, il faut qu’un minimum de connaissances sur le rôle de la dimension spirituelle dans les soins soit acquis par l’ensemble des membres de l’équipe soignante. Mais assurer un accompagnement spirituel ne peut pas entrer en tant que tel dans le cahier des charges de l’équipe soignante. On peut attendre d’elle qu’elle puisse écouter et accompagner un minimum, mais surtout qu’elle sache déléguer quand il le faut à un accompagnateur spirituel! Car les médecins, infirmiers ou soignants ne disposent que difficilement d’une heure entière pour écouter une personne qui en aurait besoin. En plus de convaincre le personnel soignant, la problématique de l’accompagnement spirituel dépend d’une politique publique de financement des professionnels en accompagnement.

Qu’est-ce qui est essentiel à faire actuellement dans le domaine médical?

Je pense que c’est d’être capable de dialoguer avec le patient qui reçoit des soins pour l’aider à donner du sens à l’action du personnel médical. Au moment où vous élargissez les soins à une pluralité de dimensions et de points de vue, la problématique de la spiritualité peut s’inviter dans tout ce qui fait sens pour le patient. Si le médecin a une pratique ouverte à d’autres points de vue ou perspectives, il sera capable d’entendre les points de vue du patient. Par exemple, le patient a le souci de sa famille, il peut se demander avec lui comment sa famille va comprendre pourquoi il prend telle ou telle décision par rapport à ses soins.

Autre exemple: si un patient dit à un médecin «si j’ai le cancer c’est parce que Dieu m’a puni» et que le médecin ne fait rien de cela, je trouve que ce n’est pas responsable. Il ne s’agit pas que le médecin se prenne pour une autorité spirituelle et conteste le point de vue du patient, mais il peut dire «je vois que cela vous touche, et peut-être que cela vous ferait du bien de rencontrer quelqu’un de compétent avec qui vous puissiez parler de ce que vous ressentez».

Et selon vous, qu’est-ce qui est central dans la dimension spirituelle en milieu hospitalier?

La chose importante est qu’à l’hôpital on est beaucoup centré à travers les soins sur ce qui ne va pas. Mais un patient ne se réduit pas à «ce qui ne va pas». Il est aussi habité par des questions de sens qui dépassent son hospitalisation et pour lesquelles il a peut-être aussi besoin d’être écouté. Etre à l’hôpital est une expérience de vie à laquelle on est plus ou moins préparé, qui déstabilise plus ou moins, et à laquelle il est plus ou moins facile de donner du sens. Il est important de ne pas être coupé d’un accompagnement de ce questionnement quand on est à l’hôpital. L’idéal serait que le personnel soignant et les aumôniers puissent travailler en coordination.