Initiative pour des multinationales responsables: le remède a du bon

Initiative pour des multinationales responsables: le remède a du bon

Protestinfo propose régulièrement des éditos rédigés par des membres des rédactions de Médias-pro.

Journaliste et présentatrice du magazine «Faut pas croire», Aline Bachofner revient sur l’initiative «pour des multinationales responsables». Ce texte est soutenu par Pain pour le prochain et Action de carême et mis en avant à l’occasion de la campagne œcuménique.

Image: affiche de l'initiative «pour des multinationales responsable». DR

La Suisse est un pays libéral. En matière économique, le pays n’aime pas s’embarrasser de contraintes réglementaires. Le peuple en a donné un exemple ce dimanche encore, en disant un non clair et net (59,9% des voix) à l’initiative contre la spéculation alimentaire. Les 795 millions de personnes sous-alimentées dans le monde ne font pas le poids face à une classe économique, soutenue par le président de la Confédération, qui brandit la menace du chômage sur les 12'500 employés du secteur en Suisse.

Bien sûr, le lien entre les négociants suisses en matières premières et l’insécurité alimentaire dans le monde n’est pas direct. Les responsables sont nombreux, et ils ne travaillent pas tous sur les bords du Léman. Reste que ces négociants font partie d’un système qui alimente chaque année l’économie suisse à hauteur de 20 milliards de francs. On ne tue pas la poule aux œufs d’or.

Pas sûr que l’initiative pour des multinationales responsables, actuellement en cours de récolte de signatures, connaisse un sort plus enviable. Peu importe, les quelque soixante ONG qui soutiennent le texte croient que le débat public peut faire avancer la cause, à l’exemple de Pain pour le prochain et Action de carême, qui en ont fait leur thème de campagne cette année. L’initiative a été lancée en mai 2015, après l’échec devant le Parlement — à quelques voix près et suite à un deuxième vote réclamé par le PDC — d’une motion visant à inscrire dans la loi le devoir de diligence des entreprises à l’égard des droits de l’homme et de l’environnement. Des grands mots pour dire quoi au juste? Que les entreprises doivent pouvoir prouver, entre autres, que leurs activités ne profitent pas du travail des enfants, n’enrichit pas des groupes armés illégaux et ne polluent pas l’eau potable et les sols pour les générations à venir. L’initiative demande peu ou prou la même chose. Une question de bon sens, non? Comment peut-on raisonnablement s’opposer à cela? C’est tout simple, en affirmant qu’une loi est inutile, puisque les entreprises ont déjà mis en place toutes les «bonnes pratiques» pour minimiser leur impact de manière libre et volontaire.

Depuis une petite dizaine d’années, les multinationales misent en effet sur la responsabilité sociale et sur la communication de leurs efforts. Elles se dotent de politiques de «due diligence», multiplient les processus de certifications, rejoignent des plateformes où secteur privé, secteur public et société civile s’unissent pour promouvoir l’éthique en affaire. Sur le papier, elles sont béton. Elles ont même la caution des ONG qui jouent le jeu de l’incitation plutôt que de la dénonciation.

Alors pourquoi ces mêmes entreprises se trouvent-elles encore régulièrement épinglées par des ONG qui n’ont pas voulu jouer le rôle de caution, à l’image de Pain pour le prochain ou de la Déclaration de Berne? Parce que les bonnes intentions, même sincères, ne font pas le poids face à la pression des actionnaires.

L’initiative pour des multinationales responsables est-elle dès lors vouée à l’échec? Pas si sûr. A défaut de pouvoir faire valoir leur droit à une vie digne et à un environnement sain, les populations du Sud peuvent compter sur la crainte du dégât d’image. Une entreprise suisse pincée pour raffinage d’or issu du travail des enfants, c’est moche, et l’atteinte à l’image est une maladie grave. Le secret bancaire, lui, en est mort. Avant d’enterrer la poule aux œufs d’or, il vaudrait mieux lui administrer une petite dose de régulation. Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal.

A propos
Aline Bachofner est également auteure d’une présentation de cette initiative à lire dans La Vie protestante — Genève, de mars 2016