La discrimination suit les migrants chrétiens jusqu’en Europe

La discrimination suit les migrants chrétiens jusqu’en Europe

Les chrétiens, qui migrent parmi les milliers d’autres migrants du Moyen-Orient, découvrent en arrivant qu’un fardeau familier les a suivis: le harcèlement religieux. Certains migrants chrétiens ont été soumis à la discrimination, au harcèlement et à la violence des migrants musulmans. Un converti au christianisme iranien a été assassiné.

Photo: le camp de Grande-Synthe WWM

/Protestinter

Le phénomène a été observé dans divers endroits à travers l’Europe, y compris dans le camp de Grande-Synthe dans le nord de la France, où les convertis iraniens ont été visés par les migrants en provenance d’Irak. La situation a suscité de grandes inquiétudes parmi les Eglises locales, qui soutiennent les migrants en leur fournissant de la nourriture, des vêtements et même, dans certains cas, des abris.

Tout a commencé au début de l’année, rappelle Philippe Dugard, le pasteur de l’Eglise évangélique du Littoral (EEDL), une Eglise de la ville voisine de Saint-Pol-sur-Mer, qui a mis en place un effort de secours à Grande-Synthe. «Entre novembre et décembre, il y avait un groupe d’Iraniens qui ont déclaré appartenir au Christ, et qui ont commencé à assister au culte. Certains se disaient orthodoxes, tandis que d’autres déclaraient qu’ils étaient chrétiens, même s’ils n’étaient pas vraiment convertis. Nous avons fait connaissance, et nous avons pensé qu’ils avaient une réelle soif spirituelle», raconte le pasteur. «Et un soir, le 14 décembre, nous avons été informés que deux d’entre eux ont été poignardés et qu’on ne savait pas où était le troisième. Nous nous sommes dit qu’en tant que chrétiens nous ne pouvions pas les laisser seuls dans cette situation, et les victimes elles-mêmes nous ont dit qu’elles ne voulaient plus rester dans le camp, car elles se sentaient menacées.» L’incident a marqué le début de l’aide de l’EEDL pour les immigrants victimes de persécution.

Les jours suivants, les victimes ont été hébergées dans des hôtels, avant qu’elles ne soient déplacées vers une église à Dunkerque, la ville la plus proche du camp. «En général, la mafia kurde dans le camp est contre les chrétiens», déclare l’une des victimes de l’attaque du 14 décembre. «Quand nous leur avons donné notre argent pour qu’ils nous aident à aller en Angleterre, ils ne nous ont pas aidés. Ils ont juste volé notre argent. Puis ils nous ont attaqués et nous ont appelés kafir (infidèles). Ils sont venus me poignarder avec un couteau et ils ont battu mes amis.» Selon cette victime, il y a encore des chrétiens dans le camp, mais ils ont peur de parler de leur foi: «oui, il y a encore des chrétiens dans le camp. Mais ils préfèrent ne pas rester à côté de ces musulmans brutaux. Ils sont tellement racistes. Ils veulent juste éradiquer les chrétiens du camp.» Il ajoute qu’une mosquée a été créée dans le camp, et que l’appel à la prière résonne tous les jours à travers le camp, mais qu’à la différence du camp de Calais à proximité, il n’y a aucune église.

Un cocktail explosif

Situé dans le nord-ouest de la France, à côté de la Manche, le camp de Grande-Synthe accueille environ 2500 à 3000 migrants — essentiellement des Kurdes d’Irak et de Syrie, mais aussi des Iraniens. Les tensions et autres formes de violence sont communes dans le camp, explique un travailleur social, qui désire rester anonyme de peur que le reportage ait un impact sur son travail avec les chrétiens.

Les différences ethniques ont créé des tensions dans le camp entre les Irakiens et les Iraniens, qui sont seulement 50. Les milliers de Kurdes irakiens sont à majorité musulmane, alors que parmi la minorité iranienne, il y a des chrétiens. Certains d’entre eux fréquentent les églises locales en secret, parce qu’ils ont peur des migrants musulmans et des contrebandiers, qui ont de l’influence dans le camp. Les rafles de nuit, le vol et la violence font partie des menaces communes.

Dans la nuit du 14 décembre 2015, une attaque au couteau a fait plusieurs blessés, tous des chrétiens. L’un d’eux, un jeune de 19 ans du nom de Mohammad, est mort. La police locale a été informée et une enquête est en cours. La police n’a pas voulu répondre à nos questions. Une employée de la mairie de Grande-Synthe a expliqué qu’il n’y a pas de problème de sécurité dans le camp, qui est ouvert aux visiteurs extérieurs. Cependant, la police patrouille désormais l’entrée. Le 26 janvier dernier, une fusillade entre bandes rivales de trafiquants a éclaté, provoquant un énorme déploiement policier autour du camp. Les contrôles de sécurité sont maintenant effectués à l’entrée du camp, et les visiteurs doivent acquérir une autorisation préalable du bureau du maire. La crainte de la présence de membres de Daesh parmi les migrants, qui veulent radicaliser d’autres migrants et imposer la charia à l’intérieur du camp existe.

Tension constante

Deux mois après l’attaque contre les migrants irakiens, la tension est retombée, selon le pasteur Philippe Dugard. La majorité des victimes des attaques de décembre ont poursuivi leur route. Certains ont réussi à rejoindre l’Angleterre, tandis que d’autres, las d’attendre pour une traversée hypothétique ou en raison d’un manque de ressources financières, sont retournés en Iran. D’autres ont quitté Calais pour d’autres destinations européennes, avec l’espoir de gagner l’Angleterre d’une autre façon.

«Parfois, ils ne vont tout simplement pas se présenter à l’heure du dîner, même si nous avons déjà mis la table» explique Philippe Dugard. «Ils sont toujours à la recherche de nouvelles routes parce que les passages via Calais et Dunkerque semblent complètement bloqués. Mais dans l’intervalle, d’autres réfugiés, y compris des musulmans modérés qui ont entendu parler de l’appui fourni aux Iraniens, sont arrivés.»

Un groupe d’environ dix migrants, dont un seul se dit chrétien, sont actuellement dans une église de Dunkerque. Un non-religieux iranien de 30 ans, qui se fait appeler Max, se plaint des mauvaises conditions et la sécurité laxiste du camp. Son compatriote, un homme musulman de 20 ans, Farhad, est d’accord avec lui. «Les conditions de vie dans le camp sont déplorables,» raconte-t-il. «Ce n’est pas une place pour des humains. Il fait très froid et les gens tombent malades facilement.»

Les Eglises submergées

Les Eglises locales ont du mal à faire face aux exigences demandées, parce qu’elles cherchent à aider les migrants de toutes confessions et ceux qui n’en ont pas. Pour Philippe Dugard, ce qui a commencé comme une urgence est devenu un engagement à long terme. «Nous nous demandons: quelle est la meilleure option pour nous? Avons-nous les ressources spirituelles, humaines et financières pour poursuivre ce travail, qui est un travail social à plein temps?» explique Philippe Dugard. «Les migrants souffrent déjà beaucoup. Ils ont traversé énormément de frontières et divers obstacles pour arriver ici, dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais ils se rendent compte que traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre est sans espoir, et qu’ils ont fini par vivre dans des conditions précaires souvent plus difficiles que dans leurs pays.»

Ces conditions pourraient être améliorées si les migrants, qui désirent découvrir le christianisme, pouvaient le faire en toute sécurité, affirme Michael Barton, directeur de Portes Ouvertes France, une organisation de bienfaisance qui œuvre à travers le monde pour soutenir les chrétiens qui vivent sous la menace à cause de leur foi. «Beaucoup de chrétiens parmi les réfugiés fuient la persécution et la discrimination. Ils sont déjà traumatisés par leur terrible expérience au Moyen-Orient», informe Michael Barton. «Imaginez leur désespoir quand ils réalisent qu’une fois ici, en France, ils souffrent de la même discrimination et la haine de la part des autres immigrants. Les Eglises locales ont fait preuve de dévouement pour aider les réfugiés chrétiens et ceux qui sont réellement intéressés par la foi chrétienne. Les autorités doivent leur permettre d’avoir des bâtiments simples où ils peuvent se rencontrer et prier Dieu en sécurité et que la liberté de croyance règne dans les camps. Il est totalement inacceptable que quelqu’un puisse perdre sa vie pour sa foi en France.»

En plus du manque de ressources, il y a un problème de logistique, car les différentes Eglises agissent avec peu de coordination. Divers groupes et associations de toute l’Europe assurent également une assistance aux migrants, ce qui n’a fait qu’ajouter à la pression, explique Philippe Dugard. «Si certains groupes sont utiles, d’autres croient qu’ils peuvent sauver le monde. Ils viennent souvent avec des discours très agressifs, pendant deux ou trois jours, puis partent. En fin de compte, leurs actions font plus de mal que de bien, car après leur départ, il devient difficile pour nous de faire un travail sérieux.»

Des discussions sont en cours entre les Eglises, car elles cherchent à créer une plate-forme régionale, qui serait sous l’égide du Conseil National des évangéliques de France.

Catastrophe humanitaire

Le camp Grande-Synthe s’étend sur 20 hectares près des marécages. Il est difficile de marcher dans la boue glissante sans chaussures appropriées. Avec des milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, qui vivent dans des conditions insalubres, les problèmes respiratoires et les maladies infectieuses sont fréquents, informe l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui fournit des soins d’urgence aux côtés de Médecins du Monde. Selon MSF, le nouveau camp, équipé de tentes chauffées et situé à trois kilomètres du camp actuel, pourra accueillir les migrants dans les prochains jours.

Cependant, la crise des migrants reste une question très complexe, reconnaît Matthieu Bosiger, le pasteur de l’Armée du Salut à Dunkerque. «Ils sont un peu comme dans une prison», constate-t-il. «Il est bon d’essayer d’améliorer leur situation, mais ils n’ont pas l’intention de rester en France. Les migrants ont une seule pensée en tête: traverser la Manche pour aller en Angleterre, à tout prix.»

Beaucoup disent qu’ils ont des parents ou des amis déjà installés là-bas et les conditions de vie semblent très attrayantes, en partie parce que beaucoup connaissent un peu l’anglais, mais aussi en raison de la perspective de meilleures opportunités économiques. Les contrebandiers profitent des migrants désespérés, qui veulent atteindre le Royaume-Uni, en les faisant payer tout ce qu’ils ont, sans aucune garantie qu’ils réussiront à rejoindre l’Angleterre.