La Bible est un livre écrit par des réfugiés pour des réfugiés

La Bible est un livre écrit par des réfugiés pour des réfugiés

Théologienne suisse, Muriel Schmid (photo) vit aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années. Depuis un an, elle est directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix à Chicago. Interview autour des enjeux théologiques qui fondent le devoir d’accueil des chrétiens envers les migrants.

Propos recueillis par Joël Burri

Muriel Schmid, on dit souvent du christianisme qu’il appelle les croyants à l’accueil des migrants. Qu’est-ce qui fonde théologiquement cela?

On fait souvent référence à la fin du chapitre 25 de l’évangile de Mathieu «Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger et vous m’avez accueilli chez vous…» Cela est devenu un peu bateau et cela conduit souvent nos communautés à de grandes réflexions sur qui est l’étranger pour moi, qui est le prisonnier pour moi. Je peine à m’inscrire dans ce mouvement.

Ce que je trouve plus intéressant, c’est de se souvenir que le texte biblique, y compris dans une certaine mesure le Nouveau Testament est «un texte écrit par des réfugiés pour des réfugiés». Il est écrit par des gens qui font l’expérience de l’oppression, de l’errance, des persécutions. Du coup, cela veut aussi dire que ce qui est écrit dans la Bible n’est pas écrit pour nous, qui sommes confortablement installés sur nos terres, dans notre Etat; une approche similaire se retrouve par exemple dans la théologie de la libération juive. Cela donne une autre force au texte, me semble-t-il: chercher à interpréter les métaphores du texte devient un luxe dont on peut dès lors se passer!

Cette clé de lecture se retrouve dans plusieurs contextes, mais a probablement pour origine «The Bible as the Ultimate Immigration Handbook» de Joan Maruskin, directrice de programme au sein d’une organisation ecclésiale d’aide aux migrants et aux réfugiés. Cette lecture a aussi été faite sienne en 2009, par le Conseil œcuménique des Eglises lors de sa conférence «Eglises contre le racisme»

Le texte devient alors une promesse de justice faite à l’opprimé plus qu’un appel éthique à l’oppresseur ou simplement à celui qui vit dans le confort. Comment lire alors, les textes traitant de la relation à la terre?

Ce thème traverse la Bible hébraïque, mais le texte, comme Lévitique 25, nous rappelle que la terre n’appartient qu’à Dieu. L’humanité n’en est jamais que le gardien. Elle se l’est vue confiée lors de la Création, mais ne doit pas se l’approprier. Accessoirement, l’entrée en Terre promise s’accompagne, il ne faut pas l’oublier, d’une conquête violente qui implique par conséquent des déplacements de population et crée de nouveaux réfugiés. Au travers du texte, la relation à la terre n’ignore pas que la revendication de terres mène à la nécessité de réguler les relations entre ses divers habitants et leurs droits.

Dans ce contexte, l’injonction d’aimer les étrangers qui apparaît entre autres en Deutéronome 10, invite le peuple hébraïque à imiter la bonté de Dieu et à se souvenir que lui aussi a vécu comme étranger en Egypte. L’expérience de l’exil est ainsi l’expérience fondatrice et paradoxale de cette identité liée à la Terre promise.

En Europe, nous sommes assez sensibilisés par la question des migrants issus de Syrie. Qu’en est-il aux Etats-Unis?

Il y a une forme de prise de conscience sur l’urgence de la question des migrants en Europe, mais ici on parle généralement, des migrants passant la frontière avec le Mexique. La question du marché des armes et de ses conséquences sur la situation géopolitique du Moyen-Orient est par contre peu abordée, pourtant les Etats-Unis sont les premiers fournisseurs d’armes en direction de la Syrie.

Les Equipes chrétiennes pour la paix sont-elles actives en faveur des migrants?

Oui, nous avons, par exemple un projet temporaire sur l’île grecque de Lesbos, lieu d’entrée de nombreux migrants. En partenariat avec des associations locales, nous menons un travail d’observateurs des conditions d’accueil, de détention des migrants. Nous assistons aussi aux procès de ceux qui se voient refuser l’entrée sur le territoire. C’est la deuxième année qui les Equipes sont présentes sur place, nous n’avons pas les moyens d’assurer une présence permanente, malgré un fonctionnement impliquant des coûts extrêmement bas. Avec 6000 €, versés par l’Eglise mennonite allemande et le travail de nombreux bénévoles, nous pouvons assurer une présence de presque 5 mois durant l’été.