«Pour qui veut s’orienter dans la réflexion théologique contemporaine, une connaissance solide des maîtres du siècle dernier demeure indispensable», peut-on lire dans les premières pages de l’ouvrage de Christophe Chalamet, qui précise d’emblée l’un de ses objectifs: «j’espère contribuer à la compréhension d’un pan important de la théologie protestante du XXe siècle»: pari réussi, avec la parution récente de son livre «Théologies dialectiques. Aux origines d’une révolution intellectuelle», chez Labor et Fides.

Le professeur Christophe Chalamet, qui a rejoint la faculté en 2011, après avoir enseigné à Fordham University de New York, est un spécialiste de Karl Barth et de la théologie contemporaine. Avec cette parution récente, il donne à lire une étude, commencée avec sa thèse qu’il a soutenue en 2002 à la faculté de Genève et publiée en anglais en 2005, remaniée et enrichie des recherches qu’il a effectuées depuis.

Sa formation d’historien se remarque par une méthodologie remarquable, mais le professeur le souligne lui-même, cet ouvrage «a beau avoir été écrit dans l’optique de l’histoire de la théologie, il ne vise en fin de compte qu’une seule chose: permettre un discours théologique responsable […] dans notre contexte contemporain».

Et de fait, ce livre en trois parties, qui comporte une bibliographie exhaustive ou presque, un index des noms ainsi qu’un index thématique, n’est pas seulement un livre d’histoire de la pensée, mais un véritable travail de recherche en théologie systématique, qui nous livre de surcroit un pan important de la pensée théologique de son auteur.

Deux grands penseurs protestants, qui ont marqué profondément la théologie du XXe siècle, Karl Barth et Rudolf Bultmann, ont été à l’origine de deux écoles dominantes de la théologie contemporaine. L’étude que leur consacre Christophe Chalamet est novatrice: il analyse la pensée de ces deux théologiens à la lumière de celle de Wilhelm Herrmann, qui a été leur professeur à tous deux. Il met ainsi en évidence que non seulement la théologie de ce dernier était loin d’être «libérale», comme elle a été souvent résumée, mais que les différences et les proximités entre ses deux étudiants, Barth et Bultmann, d’une part découlent de la réception qui leur était propre du même enseignement, et d’autre part sont loin d’être aussi évidentes qu’il n’y paraît.

Se démarquant clairement des analyses typologiques qui forcent le trait pour pouvoir simplifier le propos, Christophe Chalamet a pris le parti d’une analyse fine, en profondeur, qui reste toutefois claire et compréhensible par tous, et montre «comment Barth et Bultmann, à la suite de Wilhelm Herrmann, furent des théologiens qui ne pouvaient faire autrement que de développer une théologie dialectique, une théologie qui articule le voilement et le dévoilement de Dieu, le jugement et la grâce, sans jamais pouvoir rendre compte de l’objet au moyen d’un seul mot».

«Leur théologie est «brisée», écrit le systématicien, elle n’est pas linéaire: elle témoigne d’une réalité qui demeure indicible de manière directe: la révélation de Dieu dans la réalité humaine, la parole de Dieu dans la chair, dans la lettre, dans la parole humaine, le «oui» de la grâce qui recèle en son sein le «non» du jugement, la résurrection du crucifié. Voilà l’objet de la théologie, un objet «mystérieux et plein de contradictions», indicible au moyen d’un seul mot».

Malgré, ou à cause même de son érudition, ce livre est à mettre dans toutes les mains: celles de théologiens et spécialistes, certes, mais celles aussi d’étudiants en théologie, pour lesquels il constituera un ouvrage de base rapidement indispensable, leur permettant de naviguer dans les eaux parfois profondes de la théologie contemporaine.

Mais il est aussi destiné à un large public féru d’histoire, ou de théologie, et intéressé par la genèse d’une véritable révolution de la pensée, dont nous sommes tous les héritiers.