Une bénédiction discutée
Par Philippe Krasnopolski
Une décision médiatique! Jamais une actualité protestante n’a été aussi couverte par les médias français – presse, radios et télévision sans oublier les réseaux sociaux – que la résolution votée par le Synode de l’Eglise protestante unie de France (EPUdF), réuni le week-end du 16 et 17 mai à Sète, de bénir les couples de même sexe. Même «Protestants en fête», un grand rassemblement qui, bien qu’ayant mobilisé en septembre 2013 des milliers de personnes à Paris, n’avait suscité un tel intérêt de la part de la presse.
Une décision donc majoritairement saluée par les médias, mais qui a aussi entraîné des réactions négatives de la part d’autres Eglises. Au sein du protestantisme, celle du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) qui voit dans ce vote «une décision consternante» revenant à «promouvoir une grâce à bon marché». Ou côté catholique avec les déclarations de Mgr Pierre-Marie Carré, vice-président de la Conférence des évêques - il en était le représentant au synode de Sète -, qui dans une interview au quotidien La Croix du 18 mai estime qu’en matière d’œcuménisme «cela ne va sans doute pas simplifier les choses».
Des réactions de prudence également, comme celle de l’Union des églises protestantes d’Alsace-Lorraine (EPUAL) qui avait abordé la question de la bénédiction des couples de même sexe en juin 2014 avant de se donner un délai de trois ans pour y réfléchir à nouveau. Un moratoire qui ira jusqu’à son terme. Interrogée par France 3-Alsace, Christian Albecker, son président explique: «Il y a un double souci. D’abord d’être à l’écoute de notre monde et de notre société, d’être à l’écoute de ce que vivent les gens, mais en même temps de ne pas être tout simplement sous la pression de l’actualité et de bien prendre le temps de mesurer les enjeux, quels qu’ils soient. Et trois ans par rapport à la dimension de la vie d’une Eglise, c’est finalement très court.» Restent les réactions des luthéro-réformés de l’EPUdF.
Un synode soucieux d'accueillir les couples de même sexeLe texte adopté ce dimanche 17 mai stipule que «le synode est soucieux à la fois de permettre que les couples de même sexe se sentent accueillis tels qu’ils sont et de respecter les points de vue divers qui traversent l’Eglise protestante unie. Il ouvre la possibilité, pour celles et ceux qui y voient une juste façon de témoigner de l’Evangile, de pratiquer une bénédiction liturgique des couples mariés de même sexe».Une possibilité donc, mais en aucun cas un droit ou une obligation qui s’imposerait à chaque paroisse et à chaque pasteur.
Votée à la quasi-unanimité (94 voix contre 3), cette décision si elle ne reflète pas ces «points de vue divers» semble en avoir anticipé toutefois les réactions opposées. Celles-ci se sont d’ailleurs manifestées sur les réseaux sociaux ou dans certains reportages télévisés dès son annonce. Elles avaient été, il est vrai, précédées d’un Appel lancé, avant le synode, par une soixantaine de pasteurs invitant à ne pas statuer «dans la hâte de répondre à la pression de la société et de l’évolution des mœurs».
Interrogé par Protestinter, le pasteur Laurent Schlumberger, président de l’Eglise protestante unie, explique: «On est dans la vague des réactions à chaud et c’est bien normal. Mais il faut prendre le temps, travailler et faire de la pédagogie. C’est comme cela qu’il faut interpréter le vote massif du synode. Cela ne veut pas dire que ses membres sont à 100% d’accord avec le texte, mais, au-delà des positionnements personnels, il signifie, à mon avis, que la quasi-totalité du synode a reconnu que cette décision d’accorder une bénédiction aux couples de même sexe pouvait être une voie pour notre église. C’est sur cela qu’il y a un consensus, plus que sur le contenu proprement dit sur lequel il y a toujours des positionnements variés.»
Confiant, il poursuit: «Nous entrons dans une période longue, où les points de vue vont évoluer, où il va falloir aussi attendre puisque le synode a bien précisé qu’il ne fallait pas prendre de décision de principe maintenant, mais uniquement quand un pasteur et son conseil presbytéral seront saisis d’une demande de bénédiction. C’est à ce moment-là seulement qu’ils devront prendre position et s’accorder non pas sur la demande nominative d’un couple de même sexe, mais sur le principe même de cette bénédiction».
Optimiste, il ajoute: «Ce n’est pas la même chose que de s’interroger de manière théorique, de manière abstraite, et face à une situation concrète. Le résultat n’est pas toujours le même. Et s’il y a un désaccord, je pense que cela se réglera par le statu quo pour un moment».
«Il y aura des conflits dans les paroisses»Attendre une demande de bénédiction pour en discuter! Gilles Boucomont, pasteur de l’Eglise protestante unie du Marais à Paris, ne comprend pas. Signataire de l’Appel cité plus haut, il explique à Protestinter: «Tout le monde sait qu’il y aura des confits dans les paroisses. Il y en a eu lors des discussions présynodales et aujourd’hui chacun sait qui est pour et qui est contre. On préfère donc ne pas aborder la question.»
Il poursuit: «C’est la première fois depuis la Réforme qu’un synode vote un texte à l’encontre des textes bibliques. Je comprends très bien l’argumentaire sur l’amour, la compassion, mais bénir un couple de même sexe en faisant des tas de circonvolutions pour expliquer que cette bénédiction n’est pas la même qu’entre un homme et une femme, c’est une tricherie intellectuelle. Le coût de cette décision en terme d’unité et de confiance risque d’être très élevé pour une question qui est certainement pressante sur l’agenda de la société, mais pas si urgente que cela sur celui de l’Eglise».
Réponse du président de l’EPUdF: «Je ne crois pas que dans les paroisses les opposants à la bénédiction manifesteront leur mécontentement parce que le conseil presbytéral connait et sent sa paroisse et prendra sa décision en amont d’éventuels désaccords. Sa sagesse le poussera à prendre la bonne décision. On peut donc imaginer des paroisses qui se prononceront rapidement contre et le débat sera clos. D’autres seront tout de suite pour. Quant à la grande majorité d’entre elles, elle fera les choses de manière pragmatique, progressive, avec le souci pastoral qui a marqué ce débat».
A cette fin, le synode a prévu de créer une «équipe d’accompagnement des bénédictions» qui aura « la responsabilité d’accompagner les Eglises locales et les paroisses qui le souhaitent dans leurs réflexions et leur décision». Il a aussi décidé de la création d’une «équipe liturgique pour les bénédictions». La liturgie pour la bénédiction d’un couple de même sexe devrait donc apparemment être différente de celle utilisée pour un couple homme-femme.
Côté opposants à la décision du synode, on se prépare également. «Le principal résultat de cette affaire va être que le courant confessant qui n’était pas du tout structuré va s’organiser», annonce le pasteur Gilles Boucomont qui prévoit une réunion en juin, une semaine de travail en automne et une conférence cet hiver.
La disputation au sein de l’EPUdF risque donc de se poursuivre. Une bénédiction au moins pour les journalistes!