Choisir sa spiritualité en fonction de ses envies

Choisir sa spiritualité en fonction de ses envies

Alors que le catholicisme n’est plus en phase avec la réalité et que les réformés ne parviennent pas à intéresser le public, chacun choisit de vivre sa spiritualité en fonction de ses envies. Des constatations révélées dans l’ouvrage «Religion et spiritualité à l’ère de l’ego». Désormais disponible en français, cette étude sociologique dépeint le paysage religieux en Suisse à l’ère de l’individualisme moderne.

«La religion est vue de manière individuelle par toutes les personnes interrogées, qu’elles soient engagées dans une Eglise ou athées», lâche le sociologue des religions Jörg Stolz, un des auteurs de «Religion et spiritualité à l’ère de l’ego». Cette étude, réalisée auprès de 1229 participants par des spécialistes des universités de Lausanne et de Münster (ALL) et publiée au mois d’octobre 2014 en allemand, est désormais disponible en français. Face à l’avènement de l’individualisme contemporain, la religion ne se transmet plus de façon héréditaire. Chacun choisit, désormais, la façon de vivre sa spiritualité en fonction de ses envies.

Les chercheurs ont divisé le paysage religieux en quatre groupes: les institutionnels (17,5%), des membres actifs affiliés aux Eglises catholiques, réformées ou évangéliques qui «croient en un Dieu unique». Les alternatifs (13,4%) à la spiritualité très diversifiée qui s’intéressent aux pratiques holistiques et ésotériques. Pour les distanciés (57,4%), la religion n’a pas beaucoup d’importance dans leur vie. Ils vont de temps en temps à l’église pour des mariages ou des baptêmes et certains pensent qu’il existe «une certaine réalité supérieure». Quant aux séculiers (11,7%), «il s’agit de personnes sans aucune pratique religieuse et sans conviction ni foi religieuses». Selon la recherche, ces deux dernières catégories seront amenées à augmenter dans le futur.

Effacement progressif de la religion

«Après les années cinquante, nous sommes entrés dans l’ère de l’ego, où le religieux n’est plus normé. Il est devenu une affaire privée, un choix. Il y a actuellement une alternative séculière très forte. Cette évolution se voit particulièrement bien à travers les enfants, ils ont leur mot à dire concernant les activités qu’ils veulent faire. D’une génération à la suivante, la population devient de moins en moins religieuse», explique Jörg Stolz.

Toutefois, la situation est différente dans les milieux évangéliques. «Ils arrivent à garder leurs enfants au sein de leur Eglise. La socialisation est beaucoup plus importante que dans les autres Eglises», précise le doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne. L’étude a montré que 86% des évangéliques appartenaient au groupe des institutionnels. Chez les réformés et les catholiques romains, on trouve 27% d’institutionnels, 58% de distanciés, 11% d’alternatifs et 4% de séculiers.

Critique du catholicisme et réformés absents

L’étude s’est également intéressée à la façon dont les différentes religions étaient perçues. «J’ai été surpris de constater à quel point le catholicisme était critiqué, même par les catholiques», s’étonne le sociologue. Selon un grand nombre de personnes interrogées, «l’Eglise catholique est une institution conservatrice, rigide, hiérarchique, autoritaire, intolérante quant à sa morale, hypocrite, et elle contredit la notion vraie de religion». Les principales critiques concernent l’excommunication des divorcés, le célibat des prêtres, la fermeture du ministère aux femmes ainsi que l’hypocrisie entre la promotion de la paix, de la tolérance et de l’humilité alors que l’institution «agit elle-même de façon intolérante et trompeuse».

Alors que le catholicisme suscite la désapprobation, les protestants réformés souffrent plutôt «d’une absence d’image». Selon les sondages, «les protestants réformés ne parviennent pas à intéresser les personnes à leurs offres. Les cultes sont «fades» [et] il y vient «peu de monde.» Les réformés apparaissent toutefois «plus en phase avec le temps présent», que les catholiques, notamment car «les femmes peuvent prêcher, que la contraception est autorisée et qu’il y a moins d’interdits».

Le bon et le mauvais pasteur

Quant aux ministres de ces deux Eglises, la recherche révèle «la présence d’images très stéréotypées de bons et de mauvais pasteurs ou prêtres». Le mauvais ministre typique est décrit «comme un homme âgé, «borné», «têtu», «hypocrite», «insensible» et «autoritaire»; des constatations basées sur des expériences personnelles. Quant au «bon» ministre, c’est un homme «jeune, cool, dynamique, qui s’affranchit de toutes les normes ecclésiastiques […], qui voit ce que l’on ressent. […]. Il semble toutefois que dans les deux cas, tout se passe comme si le bon pasteur ou le bon prêtre était perçu de façon positive non pas en raison de l’institution, mais malgré elle», peut-on lire dans «Religion et spiritualité à l’ère de l’ego».

Parmi les religions «étrangères», l’islam est perçu «de façon stéréotypée comme l’incarnation de la religion négative». Les personnes interrogées lui reprochent d’être «une religion au nom de laquelle on peut s’adonner à l’extrémisme», de maltraiter les femmes – notamment à cause du port du voile et des mariages forcés –, de «mépriser les obligations liées à l’hospitalité». A l’opposé, le bouddhisme est perçu de façon positive qualifiée «de non-violent, pacifique, accueillant et non dogmatique».

Financée par le Fonds national suisse, cette recherche est la plus exhaustive sur le sujet, à ce jour. La plus grande source de données vient d’un sondage réalisé en 2008 et 2009 auprès de 1229 personnes habitant en Suisse. De plus, les chercheurs ont effectué 73 entretiens semi-dirigés de soixante à nonante minutes. L’ouvrage a été publié aux Editions Labor et Fides au mois de février 2015.