Le phénomène des ordinations en ligne gagne du terrain

Le phénomène des ordinations en ligne gagne du terrain

Les sites internet qui proposent des «ordinations» en ligne sont florissants. Venu des Etats-Unis, c’est un moyen pour monsieur et madame tout le monde de jouer les prêtres d’un jour au mariage de leurs amis ou des membres de leur famille. Mais ces «ordinations» sont aussi prisées des milieux friands de paranormal, qui les utilisent comme une sorte de label pour légitimer leurs pratiques.

Photo: CC(by)epsos.de

(RNS-Protestinter)

Mandi Brown raconte qu'elle avait neuf ans quand elle a commencé à entendre des voix, celles pense-t-elle de ses grands-parents décédés. Mais ce n’est que vers ses 18 ans qu’elle dit avoir pris pleinement conscience de ses capacités paranormales. Elle vit à West Greenwich dans l’état de Rhode Island, où elle s’est installée en tant que «guérisseuse énergétique». En 2010, se rendant compte qu’il est difficile de trouver des clients sans aucune sorte de reconnaissance officielle, c’est vers internet qu’elle se tourne pour trouver de l’aide.

«L’ordination en ligne m’a réellement ouvert beaucoup de portes en ce qui concerne tout type de travail spirituel, y compris la guérison énergétique», déclare Mandi Brown, âgée aujourd’hui de 29 ans. Elle a été ordonnée par la Universal Life Church (ULC: église de la vie universelle), une organisation située à Modesto en Californie, et par le Universal Life Church Monastery (ULCM: monastère de l’église de la vie universelle), de même mouvance, situé à Seattle. Ce sont deux «églises» sur internet non confessionelles et indépendantes, et qui proposent des ordinations en ligne à qui en fait la demande. La ULC a ordonné à elle seule plus de 20 millions de personnes et connaît une augmentation de 10 à 15% de demandes par année.

Entre mariage et guidance spirituelle

Ces deux «églises» en ligne proposent une grande variété de titres, qui vont de cardinal jusqu’à pasteur assistant, en passant par libre-penseur et d’autres encore. Mandi Brown a donc été ordonnée grande prêtresse, mais elle se voit plutôt comme une révérente spirituelle. Elle a célébré déjà plusieurs mariages, un enterrement, et procédé à des guidances spirituelles, des bénédictions de maisons, des «nettoyages», des «bannissements» et des «traversées». Elle est aussi formée aux rites d'exorcisme, mais n'a pas encore eu l’occasion d’en effectuer un.

A l’origine, elle avait exploré d’autres options, mais elle savait dit-elle qu’il lui serait difficile de faire rentrer ses capacités dans le programme d’une école quelle qu’elle soit. Grâce aux programmes proposés en ligne, elle a pu fixer ses propres objectifs, à son rythme depuis chez elle. Depuis, Mandi Brown propose une vaste gamme de services pour ses clients, mais elle regrette que cela ne lui permette pas de vivre, ses revenus restant très irréguliers. Elle facture ses prestations entre 20 et 70 dollars: 50 pour une guidance spirituelle, 40 pour lever une malédiction, et 75 dollars pour un exorcisme, le tout pouvant se faire aussi par e-mail, par Skype ou par chat.

Hollywood contribue à la peur des maisons hantées

La «guérisseuse énergétique» a constaté une augmentation des demandes de «travaux» paranormaux, ce qu’elle attribue à l’influence de la fascination d’Hollywood pour le côté sombre de la vie. «De plus en plus de gens font appel à moi en disant qu’ils pensent que leur maison est hantée, qu’il s’y passe quelque chose de paranormal», déclare en continuant: «je ne suis pas en train de dire qu’ils mentent, ils ne mentent pas. Mais il y a des gens qui se laissent prendre au piège du battage médiatique qu’Hollywood a fait avec tous ces films qui ont pour sujet les activités paranormales ou des trucs du genre. Et tout ce que vous voyez dans ces films n’est pas vrai».

Ces films conduisent également dit-elle à plusieurs idées fausses au sujet de sa pratique. «C’est à Hollywood que l’on doit de penser que si vous avez des coups la nuit qui frappent dans votre maison, c’est forcément un démon», affirme Mandi Brown, qui préfère quant à elle le terme d’«entité malveillante».

Une église sans but lucratif

Jake Wible, le «directeur de contrôle innovant» à ULCM présente son organisation comme une église sans but lucratif, qui agit en tant que service d'ordination. Il précise que les gens utilisent généralement leur ordination pour effectuer des mariages, des baptêmes et des funérailles, mais qu’ils ne sont pas limités à ces trois options. «En fait, la plupart des gens que nous ordonnons exercent déjà un ministère qui leur est propre, soit pratiquent déjà des cérémonies de toutes sortes. Ils veulent juste un titre qu’ils puissent réellement montrer à quelqu’un», précise Jake Wible.

Bien que l’ULC n’énumère pas explicitement les pratiques qui sont interdites à ces nouveaux «ministres», Jake Wible spécifie que son église déconseille les exorcismes. Il suggère pour cela d’avoir plutôt recours à un professionnel qualifié dans l'Église catholique romaine.

D’autres sites d’ordination en ligne affichent une liste officielle des cérémonies accréditées, et des rites qui sont interdits. «Vous n'êtes pas autorisé à effectuer des cérémonies qui incluent l'exorcisme, la circoncision et le sacrifice des animaux», spécifie un autre site d’ordination en ligne, l’organisation Spiritual Humanism (humanisme spirituel).

Exorcisme, mais pas de mariage entre personnes du même sexe

D’un autre côté, la United National Church (UNC, une église qui n’a pas non plus de reconnaissance officielle, et qui fait payer les titres qu’elle propose) permet à ceux et celles qu'elle ordonne de pratiquer des exorcismes, mais leur interdit de célébrer des mariages pour des personnes de même sexe. Jack Wible a constaté que l’augmentation du nombre des mariages civils entre personnes du même sexe a conduit à une augmentation des demandes d’ordinations auprès de l’ULC, parce que les couples homosexuels n’ont pas toujours accès au mariage dans les églises traditionnelles.

Ces ordinations ne sont pas toutes reconnues par les grandes églises historiques, et certains jeunes mariés ont été surpris d’apprendre à postériori que leur mariage n’était pas reconnu par leur église d’appartenance. Même au sein de ces organisations non officielles, tout le monde ne considère pas ces ordinations en ligne comme étant valides. Kevin Emmons, 48 ans, est président de l’association Maine pagan Clergy (MPC: clergé païen du Maine). Il demeure très sceptique sur les ordinations et les rituels en ligne. «Je me demande quelle genre de relation peut être établie en ligne», s’interroge-t-il, tout en faisant remarquer que pour le meilleur ou pour le pire, le terme d’ordination garde une connotation traditionnelle qui renvoie à une formation de séminariste, ou tout du moins à un quelconque apprentissage.

Le MPC n’ordonne que quelques personnes, précise-t-il, et elles doivent prouver qu'elles ont reçu une formation légitime, comme celle du Cherry Hill Seminary (une école de formation à des ministères païens). Toutes les ordinations accordées par son organisation exigent la présence physique de la personne, lors d’un rituel public. Kevin Emmons exerce en tant que druide, et se définit lui même comme étant un «druide prêtre». Il affirme qu'il est important d’une part de savoir dans quels cas on peut aider, et dans quels autres on ne peut pas, et d’autre part d'être formés de manière significative dans ces domaines. «Je connais mes limites», estime Kevin Emmons.