Yves Scheller: «le rapport sur la laïcité n’est qu’une imposture»

Yves Scheller: «le rapport sur la laïcité n’est qu’une imposture»

Yves Scheller, porte-parole de la Coordination laïque genevoise, réagit au rapport du Groupe de travail sur la laïcité, mis en consultation jusqu’à mi-janvier par le Conseil d’Etat. Interview.

Photo: CC(by) Cristian Bortes

Propos recueillis par Joël Burri

La coordination laïque est-elle satisfaite de ce rapport?

Yves Scheller: Non, bien sûr. Le ver est dans le fruit dès la Constitution, qui ne parle que de «liberté religieuse». Or ce concept efface la liberté des autres convictions philosophiques, les athées et les agnostiques. C’est pourquoi nous préférons parler de «liberté convictionnelle». La laïcité est une disposition constitutionnelle. Par conséquent, soit un Etat est laïque vis-à-vis de tous, soit il ne l’est pas. C’est une notion politique, et tout adjectif en dénature le sens, comme pour «démocratie».

Mais vous le rappelez, l’orientation du débat sur la question religieuse apparaît déjà dans la Constitution...

Oui, ce pourquoi nous nous sommes opposés à cette constitution. Mais plus généralement, on voit dans ce rapport un mélange entre société et Etat. Dans un Etat laïque, c’est l’Etat qui est laïque, et non la société tout entière. Mais ce rapport révèle une colonisation de l’Etat par les angoisses sociales, notamment de ceux qui voient leurs églises se vider, qui ont formé un lobby efficace, et à qui ont veut donner des gages pour des raisons électorales.

On ne cesse de nous caricaturer en «bouffeurs de curés», ce que nous ne sommes pas puisque nous défendons à égalité le droit de croire et celui de ne pas croire. Par exemple, nous avons pris parti pour les catholiques et les musulmans lors de deux votations durant la dernière décennie.

A vous entendre, j’imagine donc que vous goûtez peu au rapport du groupe de travail quand il insiste sur le fait que la laïcité est avant tout un Etat d’esprit.

C’est en effet une plaisanterie. Et aussi un symptôme. La laïcité suppose que l’Etat n’entretienne aucune relation particulière avec les communautés religieuses.

«Neutre» vient du latin «neuter», qui signifie «ni l’un ni l’autre» et non «les uns et les autres»…Par ailleurs, le rapport croit pouvoir affirmer au sujet des rapports Etat/Eglises que la laïcité «consacre l’absence de subordination de l’un à l’autre». Sur cette base, on serait heureux que M. Cuénod nous explique qui doit encore s’imposer à tous… les morales religieuses, ou le droit commun?

Mais avouez que les questions religieuses posent des questions qui doivent être réglées. Par exemple, qui a le droit d’intervenir comme aumônier dans les prisons?

Rien d’antilaïque ici, en effet, à condition que cela ne soit pas subventionné par l’Etat. Ouvrir des aumôneries dans les prisons ou les hôpitaux, comme de proposer un menu sans porc à la cafétéria, ce sont des égards, bienvenus, mais ponctuels, et non des règlements. Pas besoin de lois pour cela, ni d’on ne sait quelle «reconnaissance». En introduisant cette notion, on veut en réalité privilégier la question religieuse.

D’ailleurs, il n’y a qu’à voir la composition du groupe de travail! Un franc-maçon conservateur entouré de représentants de mouvements religieux dont on essaie de nous faire croire qu’ils ont été choisis en raison de leurs compétences scientifiques et non en raison de leurs appartenances religieuses. La coordination laïque genevoise qui aurait souhaité être représentée dans ce groupe, n’a pas pu en faire partie. Les Libres Penseurs pas plus. Encore mieux: Pierre Maudet n’a adressé son questionnaire de consultation qu’à une poignée de groupes religieux et aux partis politiques. Nous, on nous ignore, comme si nous n’existions pas…

Dans quel but?

En fait, ce rapport n’est rien d’autre qu’un contrat entre le lobby interreligieux et l’Etat.Voici le «deal»: «Vous pensez à nous croyants et et en contrepartie nous voterons pour vous». La société se sécularise, les jeunes aujourd’hui se fichent de la religion, et votent peu. Du point de vue du marketing politique, il est plus intéressant de caresser dans le sens du poil les électeurs plus âgés, le plus souvent conservateurs sinon toujours croyants, ceux qui justement votent encore.

Consultations en cours

Pour la plupart des communautés religieuses contactées, il est encore trop tôt pour s’exprimer publiquement concernant le rapport du groupe de travail sur la laïcité. Des démarches de consultation ont été lancées dans les divers groupes religieux. «Ce rapport nous semble aller dans la bonne direction», note Emmanuel Fuchs, président de l’Eglise protestante de Genève. «La Laïcité n’est pas une opposition à l’Eglise et le fait que le rapport propose l’ouverture à d’autres communautés nous semble être une évidence.» La consultation de diverses personnes au sein de l’Eglise protestante de Genève est en cours. Des contacts seront également pris avec l’Eglise catholique romaine et l’Eglise catholique chrétienne. Le rapport est mis en consultation jusqu’au 15 janvier.

Cet article a été publié dans:

L'édition du 20 décembre 2014 du quotidien genevois Le Courrier.