Ada Marra: «qu’on le veuille ou non, les religions font partie de notre société»
Propos recueillis par Joël Burri
Ada Marra, lors de la table ronde en présence du journaliste français Edwy Plennel au théâtre de Vidy, vous lui avez demandé s’il ne faudrait pas d’une part soumettre les mouvements religieux à un contrôle de l’Etat, et d’autre part les financer avec de l’argent public. Vous ne croyez plus en la laïcité?
C’est vrai que de tout temps il y a eu un enjeu dans la question des relations entre Eglise et Etat. Mais Etat laïc ne signifie pas que l’Etat doit se désintéresser des religions. Je suis favorable à ce que l’on ne mélange pas religion et politique, mais par contre qu’on le veuille ou non, les religions font partie de notre société, donc l’Etat doit leur aménager un espace de dialogue. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le public et le monde politique brillent par leur méconnaissance des religions elles-mêmes et ne se concentrent que sur le fait religieux. Les milieux politiques ont plutôt tendance à renvoyer tout ce qui concerne le religieux à la sphère privée. Or, si l’Etat ne se mêle pas des questions religieuses, il laisse la porte ouverte à tous les extrémismes que cela soit dans la perception des religions ou dans les activités des communautés.
Donc vous pensez qu’un contrôle financier des religions devrait être mis en place?
C’est surtout leur reconnaissance qui devrait mieux être mise en place. Mais lorsqu’on a des doutes sur qui finance l’extrémiste Nicolas Blancho qui ne représente que lui-même, je pense que l’Etat devrait avoir le droit d’exiger une certaine transparence. De la même manière que l’on s’interdit de vendre des armes à des pays sulfureux ou délicats, ne pourrait-on pas interdire le financement de mouvements religieux par certains Etats?
Cela dit, je n’ai, pour l’heure pas de proposition toute faite à proposer, mais il me paraît urgent que l’on se pose la question. Après je pense que, contrairement à ce que veut nous faire croire l’UDC, le cadre légal actuel est déjà suffisant pour lutter contre le soi-disant terrorisme religieux.
Dans un article du Matin dimanche vous insistez sur une plus large reconnaissance des religions, islam y compris.
Avant d’être chrétiens, musulmans ou juifs, on est citoyen. Or je constate que les mouvements religieux sont des lieux d’intégrations. Au même titre que l’Etat subventionne des associations qui facilitent l’intégration des étrangers, je pense qu’il devrait soutenir cet aspect-là de la vie des Eglises. En outre, les Eglises sont aussi des lieux de solidarité qui jouent un rôle social important. Donc fondamentalement, je suis favorable à une reconnaissance de tous les mouvements religieux qui respectent les principes démocratiques. Il faut toutefois rappeler qu’en Suisse les questions religieuses sont de compétence cantonale, il y a donc 26 systèmes différents de reconnaissance et de financement.
Pourquoi lancer ce débat maintenant?
C’est une question qui me tient à cœur depuis longtemps. Par exemple, j’avais fait partie du comité contre l’interdiction des minarets; et au Grand Conseil vaudois j’avais demandé la création d’une plateforme de dialogue entre religions et Etat. La méconnaissance des religions dans notre pays me préoccupe vraiment: et ce n’est pas seulement le cas dans les milieux politiques, mais aussi dans les médias. Par exemple, alors qu’environ 70% des musulmans de Suisses sont Kosovars, on continue à médiatiser les musulmans arabophones! Cette méconnaissance conduit à une grande méfiance vis-à-vis des religions, l’islam en particulier. Aujourd’hui, il y a vrai problème d’islamophobie et d’antisémitisme en Suisse, renforcés par les exactions de l’Etat islamique ou la guerre qu’Israël a menée à Gaza. Il me semble qu’il faut absolument rappeler que l’islam ce n’est pas l’Etat islamique, que l’islam ce n’est pas mauvais.
Le site internet de La Liberté, le 28 octobre 2014.