La recherche scientifique interpelle les Eglises: un plaidoyer pour le ministère des femmes.

La recherche scientifique interpelle les Eglises: un plaidoyer pour le ministère des femmes.

Il y a bien eu des femmes apôtres dans le premier christianisme, et l’exclusion des femmes de la hiérarchie des Eglises chrétiennes n’est pas justifiée par les textes fondateurs du christianisme. La collection «Le monde de la Bible», des éditions Labor et Fides, dirigée par un groupe de chercheurs en sciences bibliques, propose pour cette rentrée la traduction d’un livre qui raconte une véritable enquête. Le but de son auteur: chercher à comprendre le pourquoi d’une «authentique imposture commise sur un texte antique».

Dans «Junia. Une femme apôtre ressuscitée par l’exégèse», le professeur de littérature biblique Eldon Jay Epp, chercheur en histoire du christianisme primitif, s’attache à «expliquer les raisons pour lesquelles, à l’époque moderne, on a refusé à Junia, collaboratrice de Paul, le droit d’occuper légitimement sa place d’apôtre, puisqu’il est vrai qu’elle est la première femme à avoir été appelée “apôtre”». C’est en effet le titre qui lui est donné dans la Bible, dans le dernier chapitre de l’épître aux Romains.

La question qui fâche

«Les femmes ont-elles, oui ou non, servi dans les positions de tête durant les premières générations de l’histoire de l’église?». Clairement oui pour Eldon Jay Epp. Certes, la place des femmes dans le christianisme en construction a fait débat. Mais les textes sources sont formels: des femmes ont bien joué un rôle dans le christianisme primitif, et dans son développement. Junia était l’une d’elles, et qualifiée par Paul «d’apôtre éminent» dans le dernier chapitre de sa lettre aux Romains. Mais voilà, si l’existence de cette femme est restée indiscutée jusqu’au XIIIe siècle, son nom a ensuite été masculinisé et elle a ainsi disparu de la plupart des traductions de la lettre aux Romains jusqu’en 1970!

C’est une fille!

Junia ou Junias? Les traductions diverses du verset contenant ce prénom, qui fait l’objet de l’étude approfondie d’Eldon Jay Epp, révèlent bien selon lui «un biais socioculturel pervers qui a influencé la critique textuelle et l’exégèse neotestatmentaires pendant un bon siècle, couvrant la période que l’on associerait vraiment au sommet de la modernité, du libéralisme et de l’objectivité en matière de recherche universitaire».

Querelle de détail? La question soulevée est pourtant de taille: en effet, c’est ce passage qui se retrouve à la tête de ceux qui «jouent un rôle essentiel dans les recherches et les débats que diverses communautés chrétiennes mènent autour de la question de la légitimité de l’ordination complète des femmes».

«Une tendance à la subordination des femmes» aurait gagné du terrain après la mort de Paul. C’est ce qui explique pour Eldon Jay Epp les incohérences au sujet de ce qui est dit sur la place des femmes dans les lettres du corpus paulinien. Car il est clair pour ce chercheur que les autres passages qui traitent de la place des femmes dans l’ensemble des lettres attribuées à Paul, ou à son école, sont secondaires. Quoi qu’il en soit et quelle que puisse être l’âpreté des débats, «il reste le fait qu’il y eut une femme apôtre, désignée comme telle de façon explicite, dans la première génération chrétienne, et que les chrétiens d’aujourd’hui doivent accepter». Comme il faut accepter le fait que parmi les chrétiens supposés se trouver à Rome, et que Paul salue en ce milieu des années 50, n’en figure encore aucun du nom de Pierre.

«La fin de l’âge de l’innocence»

A propos de méthode, Eldon Jay Epp explique que dans le monde de la recherche en sciences bibliques, c’est bien la fin d’une illusion: celle de croire qu’il existe un texte, qui serait le texte «original» et qui ferait autorité. La Bible en effet (tant l’Ancien que le Nouveau Testament) est une reconstruction textuelle qui s’est établie au fil des siècles, puis figée de différentes manières dans les différentes traditions qui la considèrent comme texte de référence. Le Nouveau Testament tel qu’il se donne à lire de nos jours est une reconstitution à partir de textes appelés témoins textuels. La tâche de reconstruction est immense, souligne le professeur Eldon Jay Epp, puisqu’il y a environ «300’000 variantes de manuscrits existants de cette collection plutôt réduite que nous appelons le Nouveau Testament».

Il n’y a pas de texte «original»

Au milieu de ces 300’000 variantes de manuscrits, «retrouver un texte “original” définitif, et qui par conséquent ferait “autorité”, ne peut pas être considéré comme un objectif atteignable».

C’est aussi le constat d’un autre éminent chercheur, David C. Parker, que cite Eldon Jay Epp dans son livre. Parker s’est attaché à démêler les vingt variantes textuelles (c’est ainsi que l’on appelle les différentes formes d’un même passage biblique, que l’on a pu retrouver dans des manuscrits différents) d’un passage très controversé: celui des paroles de Jésus sur le divorce et le remariage. Le vrai problème, pour cet autre chercheur, est moins de savoir «si les premiers chrétiens étaient capables de transmettre fidèlement les traditions (en particulier l’enseignement de Jésus)» que de comprendre que «la vraie question est pourquoi ils ont choisi de ne pas transmettre fidèlement les traditions». Et ce chercheur de conclure: «il est impossible de retrouver l’unique et seule parole originelle de Jésus. Ce que nous possédons, c’est une collection de réécritures interprétatives d’une tradition». Charge à chacun donc de se forger la propre opinion.

Et ce même problème s’est posé tant aux premiers chrétiens qu’à nos contemporains, puisque l’imposture dénoncée par Eldon Jay Epp n’a été débusquée par la recherche biblique qu’autour des années 1970.

Le corpus paulinien

On appelle ainsi l’ensemble des lettres attribuées à l’apôtre Paul dans l’ensemble du Nouveau Testament. Il comprend trois parties distinctes: la première est formée par les lettres dont la recherche actuelle, grâce à des critères d’analyse très pointus, s’accorde presque unanimement à dire qu’elles ont été écrites, ou tout du moins dictées par Paul lui-même. C’est parmi ces sept lettres que se trouvent celles adressées aux chrétiens de Rome et les deux dites «aux Corinthiens».

La deuxième et la troisième partie de cet ensemble sont respectivement les lettres dites deutéro et trito pauliniennes, écrites soit par des disciples assez proches de l’apôtre pour se réclamer de lui, soit par des communautés plus tardives se référant aussi à l’enseignement de Paul. Ces lettres, bien que pseudépigraphes (non écrites par la personne à l’autorité de laquelle elle se réfèrent) n’en demeurent pas moins authentiques, précise François Vouga dans le chapitre sur la littérature paulinienne dans l’«Introduction au Nouveau Testament: son histoire, son écriture, sa Théologie», réédité en 2008 chez Labor et Fides.