Un Iroquois sur le toit

Un Iroquois sur le toit

Chaque mercredi, Protestinfo donne carte blanche à un ou une chroniqueuse.

Installée aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années, la théologienne Muriel Schmid se demande si la Constitution suisse n’aurait pas quelques racines iroquoises.

Photo: La Statue of Freedom ou statue de la liberté installée au sommet du Capitole porte un bouquet de plumes d’aigle sur la tête ce qui rappelle les coutumes des tribus indiennes. LDD.

La Constitution suisse de 1848 était directement inspirée par la Constitution américaine de 1787. Ce jeu d’influences ne représente pas un cas unique; entre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle, le constitutionnalisme américain sert de modèle à de nombreux pays qui définissent alors leur indépendance politique.

Comme le suggère Albert Blaustein, un ancien professeur de droit à l’Université de Rutgers dans le New Jersey, «La constitution des Etats-Unis est le plus important des produits d’exportation américains. Dès sa création, son influence s’est fait sentir dans le monde entier…» Ce fait est donc connu, du moins parmi ceux et celles qui étudient l’histoire du constitutionnalisme. Ce qui est peut-être moins connu, c’est l’influence possible du peuple iroquois sur la vision démocratique des Pères fondateurs des Etats-Unis. Un fait débattu sur sol américain!

En septembre 1987, à l’occasion de la commémoration des 200 ans de la Constitution américaine, une initiative fut lancée pour la reconnaissance officielle du rôle important joué par le modèle de confédération iroquois dans les formulations de la Constitution américaine. La résolution 331 fut finalement approuvée en octobre 1988 par les deux chambres du gouvernement fédéral américain. Celle-ci déclarait explicitement: «Nous reconnaissons la contribution de la Confédération iroquoise au développement de la Constitution des Etats-Unis… les auteurs originaux, dont Georges Washington et Benjamin Franklin, sont connus pour avoir grandement admiré les principes des Six Nations de la Confédération iroquoise.» Même si cette résolution a trouvé grâce aux yeux du Sénat et de la chambre des représentants à Washington, la thèse de l’influence des Iroquois sur la Constitution américaine soulève de nombreux débats. Une telle dette, si elle existe, n’est pas insignifiante!

Les quelque 125’000 membres du peuple iroquois actuel vivent entre l’Ontario au Canada et les Etats-Unis, en particulier dans le Wisconsin; historiquement cependant, les nations iroquoises occupaient une grande partie du territoire du nord de l’Etat de New York et des régions autour du fleuve Saint-Laurent. Leur confédération était puissante et importante. Originellement organisée en une union de cinq peuples, la confédération iroquoise devait rassembler six nations dès le XVIIIe siècle. Cette union est regardée par certains historiens comme la première forme de démocratie constitutionnelle. Le document fondateur qui existe aujourd’hui est une reconstruction qui date de 1916, basée sur la tradition orale qui, elle, remonterait au XVIe siècle.

Le débat autour de la possible influence du peuple iroquois sur la Constitution américaine remet en question l’origine même des idéaux démocratiques; dans le récit de la démocratie occidentale moderne, les Etats-Unis se voient attribuer un rôle central dans l’épanouissement des idéaux démocratiques; ils sont regardés comme les fondateurs de nos démocraties et ceux qui ont su marier harmonieusement le politique et le philosophique, les droits individuels et les devoirs sociaux. Plus encore, il est convenu de lire les idéaux démocratiques incarnés par la Constitution américaine dans leur contexte judéo-chrétien, comme la traduction sur le plan politique des idéaux de foi chrétienne. La démocratie occidentale moderne est ainsi présentée comme le produit direct des Lumières et du christianisme. Dès l’instant où quelques historiens interrogent ce récit fondateur, un édifice entier s’effondre. Pas étonnant que cela ne plaise pas à tout le monde!

Récemment, lors d’une conférence à laquelle j’assistais, un présentateur qui parlait des Iroquois et de la Constitution américaine, a déclaré sans hésiter, «c’est pour cela que nous avons la statue d’un Iroquois sur la coupole du Capitole à Washington!» Cela m’a intriguée et j’ai cherché à vérifier cette information. Il se trouve que la statue en question porte le nom de Statue of Freedom ou statue de la liberté; elle fut commandée au sculpteur américain Thomas Crawford (1814-1857) en 1855 pour être finalement installée au sommet du Capitole en 1863. Une chose est à noter cependant: la statue porte un couvre-chef représentant un aigle et son plumage ce qui ne correspond pas au style classique de l’allégorie de la liberté. Thomas Crawford en explique l’origine dans une lettre datée de 1856: «la crête composée d’une tête d’aigle et d’un bouquet de plumes rappelle les coutumes des tribus indiennes.» Ainsi, de loin, la silhouette de la statue qui surmonte le Capitole de Washington évoque discrètement pour ceux et celles qui veulent bien le voir, la figure d’un chef iroquois…

Si l’hypothèse de l’influence iroquoise sur la Constitution américaine se vérifie, cela signifie que la Constitution suisse est, elle-même, issue du modèle de confédération établi par le peuple iroquois. Ose-t-on alors poser cette question: qu’en est-il de l’invocation divine qui ouvre notre document?