Le public se pressera au cinéma pour voir comment les réalisateurs de «Noé» ont fait le déluge
Le cinéma hollywoodien n’est pas complètement sécularisé! Ce printemps, il rend hommage à Noé et Jésus. Le premier est incarné par Russel Crow dans «Noah», une réalisation de Darren Aronofsky à qui l’on doit notamment «Black Swann» sorti en 2010, et qui avait permis à Natalie Portman de décrocher un Oscar de la meilleure actrice. Jésus, quant à lui, est au centre de «Son of God», le premier film pour le cinéma de Christopher Spencer, réalisateur de documentaires et de téléfilms. Pas sûr qu’il sorte en salles en Suisse, encore moins en Suisse romande.
Donner au cinéma sa crédibilité artistiqueCet intérêt pour des thématiques religieuses n’étonne pas Valentine Robert, chargée de cours en histoire et esthétique du cinéma à l’Université de Lausanne: «Le récit biblique, en tant que texte fondateur, est perpétuellement re-raconté et retravaillé. Cela est vrai non seulement pour le texte, mais aussi pour l’iconographie biblique développée dans les arts picturaux au fil des siècles. Ces références étaient, d’ailleurs, extrêmement explicites au début du cinéma. Elles permettaient alors de prouver que le cinéma n’était pas seulement une nouvelle technique, mais un mode de représentation artistique, un moyen de raconter des histoires».
Depuis, le cinéma ne cesse de proposer des films basés sur des textes bibliques. «Il y a un certain plaisir à redécouvrir ce que l’on connaît déjà», ajoute la chercheuse qui a participé à l’enquête interdisciplinaire «Usages de Jésus», en 2006-2009. «Le cinéma permet de s’approprier ces récits.»
Déluge d’effets spéciauxLe côté merveilleux du texte biblique est aussi l’une des clés de son succès, pour Valentine Robert. «Le caractère surnaturel des histoires de la Bible donne lieu à des records d’effets spéciaux! Les gens ne vont pas tant aller voir «Noé» pour l’histoire –a priori, ils la connaissent déjà– que pour la manière dont est réalisé le déluge.» C’était vrai en 1928 pour «L’arche de Noé» de Michael Curtiz, cela le restera pour cette superproduction en 3D de 2014. La première surimpression (superposition de deux images) de l’histoire du cinéma serait d’ailleurs due au précurseur du trucage Georges Méliès dans un film représentant… «Le Christ marchant sur les flots»(1899)! (Film aujourd'hui perdu).
Une reprise biblique est-elle synonyme dès lors d’un succès commercial? «Non, car la question de la “fidélité” du film au texte originel et à la tradition iconographique soulève toujours des controverses. Les scénarios des films christiques de Pasolini (L’Evangile selon saint Matthieu, 1964) ou de Mel Gibson (La Passion du Christ, 2004) ont eu beau suivre très strictement le texte biblique, leur réception a été contrastée. Il y a toujours le risque d’un rejet de ces films qui réinterprètent le Canon».
La psychologie de NoéUn élément surprend toutefois Valentine Robert qui n’avait pas encore vu «Noah», au moment de l’interview. «Il y a déjà eu des films consacrés à l’arche et au déluge. Mais titrer le film sur le personnage de Noé est assez nouveau. Il faut s’attendre à un film qui laisse une grande place à la psychologie du personnage.» Jésus, par contre, est assez coutumier des films investissant sa psychologie et suscitant l’identification. «La figure du Christ reste généralement positive. Même dans les fictions qui réactualisent ou détournent le récit biblique (tels Jésus-Christ Superstar, Jésus de Montréal, etc.) on cristallise son caractère pacifiste, magnanime ou engagé. Généralement, le cinéma en fait un modèle.»
Prendre un personnage dont la Bible ne dit que peu de choses pour lui recréer une histoire, comme le fait probablement Aronofsky de ce Noé reste, par contre, l’une des typologies classiques rencontrée par Valentine Robert dans sa recherche centrée sur Jésus. «Judas a suscité beaucoup de ces “amplifications” narratives». Dans le même ordre d’idée, il y a les personnages complètement fictifs mais que l’on rattache à l’univers biblique pour nous situer dans ses marges, entre les lignes du récit biblique. «“Ben-Hur” en est un exemple, qui permet tout un jeu visuel et symbolique de déplacements: on ne voit de Jésus que la main, la silhouette, le “rayonnement”. Dans “La vie de Brian” des Monty Python, la caméra se trompe d’étable! On suit la vie de l’homme né dans “la crèche d’à côté”…
Bande annonce de «Noah»Bande annonce de «Son of God»