La boîte de Pandore

La boîte de Pandore

La question de l’accès à la prêtrise est centrale pour les femmes mormones. En effet, dans la tradition mormone, seuls les hommes sont reconnus comme prêtres. Cependant, à la différence de l’église catholique, l’église mormone applique le principe protestant du ministère universel. Ainsi tout homme appartenant à l’église qui atteint l’âge de 12 ans est consacré comme prêtre.*

, Salt Lake City

Après avoir vécu, de loin, la conférence semi-annuelle de l’Église de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours au début du mois d’octobre, une sorte de gigantesque synode international qui attire plus de 100'000 personnes à Salt Lake City, j'étais invitée un mois plus tard à participer au Forum des Femmes Mormones (Mormon Women Forum - MWF). Ni officiel ni gigantesque, ce petit conclave rassemble les membres de l’église mormone qui luttent activement pour l’égalité hommes-femmes au sein de leur institution.

Durant la conférence générale, certaines sessions sont réservées aux seuls membres-prêtres: les femmes en sont donc automatiquement exclues. Lors de la dernière conférence générale, les femmes du MWF ont organisé une série d’actions publiques en signe de protestation. Un mois plus tard, elles consacrent leur symposium annuel à la question de la prêtrise. Finalement, je les rencontre.

À l’écoute de ces femmes mormones qui sont en plein cœur d’une lutte pour l’égalité, je réalise que lorsque j’ai choisi de devenir pasteure, je n’ai pas eu à me poser la question de mon droit.

Les organisatrices de ce rassemblement annuel du MWF m’ont demandé de présenter mon parcours de femme pasteure et mes réflexions sur le droit des femmes à être consacrées et reconnues dans les églises chrétiennes.

Deux autres présentatrices partageaient le podium avec moi: une collègue professeure qui travaille sur le mouvement des femmes prêtres catholiques et une collègue pasteure, consacrée dans la branche dite progressiste de l’église mormone, appelée Communauté du Christ. Voilà plus de dix ans que je vis dans l’Utah et je n’avais qu’une connaissance très vague de ce groupe!

À la mort de Joseph Smith en 1844, le fondateur du mormonisme, des luttes de partis surgirent au moment de désigner son successeur. Un schisme intervint d’emblée et donna naissance à l’Église réorganisée de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Celle-ci a changé son nom en 2001 pour devenir la Communauté du Christ.

D’importantes différences doctrinales séparent ces deux branches du mormonisme, l’une des plus importantes différences étant le droit pour les femmes de devenir ministre et évêque. En 1998, les deux premières femmes étaient élues pour des postes à hautes responsabilités qui requièrent la prêtrise.

Lors de sa présentation au MWF, Robin, collègue pasteure dans la Communauté du Christ, fait une référence rapide au récit de Pandore et à sa boîte qui contient, selon la légende, tous les maux du monde. Parlant de l’accès enfin acquis à la prêtrise, Robin ajoute: «cela a ouvert la boîte de Pandore de la justice sociale et de l’égalité.»

Paradoxe

Un paradoxe intriguant qui implique que si l’on ouvre la porte à une certaine forme d’égalité, d’autres suivront obligatoirement: une espèce de contagion inévitable de ce qui est juste. Si le mythe de Pandore nous rappelle que le mal peut se propager, la justice ne le peut-elle pas?

À l’écoute de ces femmes mormones qui sont en plein cœur d’une lutte pour l’égalité, je réalise deux choses. Tout d’abord, lorsque j’ai choisi de devenir pasteure, je n’ai pas eu à me poser la question de mon droit. Je savais que ma tradition avait accepté les femmes comme pasteures depuis longtemps, bien avant moi! En 1929 déjà Genève consacre Marcelle Bard au ministère pastoral.

Et j’ai pu suivre ma vocation sans que mon identité de femme soir un obstacle. En deuxième lieu, cependant, je me demande si notre boîte de Pandore de la justice sociale n’a pas été du coup fermée et rangée. Une certaine forme d’égalité, une fois acquise, nous fait parfois oublier le combat pour les inégalités laissées derrière soi.

Par exemple, la Communauté du Christ a immédiatement, au moment de proclamer l’égalité hommes-femmes, adressé la question de l’égalité de ses membres appartenant à la communauté LGBT. Notre église, de son côté, n’a bougé sur cette question que lorsque l’État a imposé une loi - et ce n’est pas encore fini!. Les inégalités sociales, économiques et raciales ne sont de loin pas éliminées en Suisse. Au contraire, certains fossés ne font que s’agrandir. Et les inégalités de genre ne sont pas éradiquées, loin de là.

Travailler les représentations

Une cinquantaine de femmes et quelques hommes assistent à ma présentation lors du MWF. Je termine en parlant de la corrélation entre la violence endémique dont les femmes font l’expérience dans le monde entier, - les chiffres de l’ONU et de l’OMS à ce sujet sont alarmants - et les représentations culturelles qui nourrissent les inégalités entre hommes et femmes.

Ces représentations culturelles sont en grande partie issues des valeurs et structures religieuses. Le dernier rapport de l’ONU ne se gêne pas de nous le rappeler, tout comme les femmes qui participaient à l’assemblée du COE à Busan (voir article dans ProtestiInfo du 1er novembre).

En ce sens, parler d’égalité au sein de l’église, c’est aussi revisiter tous les récits, les discours, les stéréotypes, les pratiques qui renforcent ici et ailleurs le sentiment que certains individus ne sont pas entièrement égaux aux autres. Et une fois que l’on commence à interroger ces structures inégalitaires, il est fort possible que notre boîte de Pandore s’ouvre à nouveau….

*Les membres de descendance africaine n’ont eu accès à la prêtrise qu’en 1978, mais cela est encore un autre chapitre.


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