L’initiative fédérale «Financer l’avortement est une affaire privée»
Par Christina Tuor, directrice de l'Institut de théologie et d'éthique de la FEPS
La prise en charge des frais médicaux d’une interruption de grossesse par l’assurance de base faisait partie intégrante de la solution dite des délais que le peuple suisse avait acceptée en 2002. Depuis, le législateur octroie à chaque femme enceinte le droit d’avorter dans les douze premières semaines de grossesse sans encourir de sanction.
À condition d’en faire une demande écrite suite à une consultation médicale. Dès la 13e semaine, l’interruption de grossesse est admise «si un avis médical démontre qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou un état de détresse profonde de la femme enceinte». (...) Le Conseil fédéral recommande le rejet de l’initiative.
Églises: protection de la vie et de la situation de la femmeAu sein des Églises, l’intention première de l’initiative est approuvée. Les Églises soutiennent sans restriction la préoccupation du comité d’initiative de baisser le nombre d’avortements. Même, si par rapport à d’autres pays européens, le taux d’IVG est très bas en Suisse, les quelque 11 000 avortements annuels représentent un chiffre de dimension inquiétante. En revanche, la proposition d’endiguer à l’avenir les avortements au moyen du financement privé suscite le scepticisme.
Dans sa prise de position, la Fédération des Églises protestantes souligne le fait que dans le cas de l’avortement, il s’agit aussi de la vie de la femme enceinte. Ce qui met toute la société au défi: «Si une société veut que les femmes mettent leurs enfants au monde, elle doit s’organiser de manière que les femmes ne considèrent pas leur situation de vie comme une situation de détresse en raison d’une grossesse».
Les avortements ne doivent pas être considérés comme une affaire privée de l’individu. Dans une société qui maintient l’interdiction de tuer, l’avortement reste d’un intérêt public particulier. C’est pourquoi la privatisation du financement des IVG n’est pas le moyen approprié.
Si la FEPS refuse de reconnaître l’avortement comme une affaire privée, la Conférence des évêques suisses, quant à elle, considère le moyen du financement privé comme «insuffisant». Pour endiguer les interruptions de grossesse, il faudrait plutôt un changement de perspective dans la société, un «tournant». En tant qu’organe, les évêques ne donnent aucune recommandation de vote, ils font état de la décision personnelle de chacune et de chacun en son âme et conscience.
Les initiatrices et les initiateurs, issus partiellement du PDC, du PEV et de l’UDF se montrent déçus de la position des Églises. Il leur manque une voix plus claire contre les avortements et une plus grande prise en compte des commandements de Dieu. La dissidence doit sûrement se situer ailleurs.
La difficulté: une «grave situation de détresse morale»Les données statistiques montrent que la détresse sociale est de loin la raison la plus fréquente de l’avortement. C’est justement le motif contre lequel s’élèvent les initiatrices et les initiateurs et pour lequel ils souhaitent radier le financement par la caisse-maladie obligatoire. Le législateur, par sa formulation selon laquelle un avortement n’est pas punissable dans la mesure où «une grave situation de détresse morale» pouvait être prise en considération, a laissé un espace qui englobe dans la responsabilité les médecins aussi bien que les femmes enceintes, leur partenaire et leur famille.
Simultanément, il a reconnu qu’il s’agissait, lors de la décision d’avorter, d’un jugement subjectif d’une situation de vie. Les initiatrices et les initiateurs voient ici menacée la liberté de conscience des citoyennes et des citoyens. La FEPS défend la position que cela équivaut à une surcharge de vouloir porter de l’extérieur un jugement définitif sur la situation de vie d’une personne. Elle estime d’autant plus important de prendre en compte cette situation de vie.
La FEPS: pas de sanctions, mais des perspectives de vieLa Fédération des Églises protestantes de Suisse est convaincue que les interruptions de grossesse peuvent être évitées et des voies être trouvées pour libérer les femmes de la situation où elles se voient contraintes de devoir se séparer de la vie naissante.
Elle plaide en faveur d’un plus grand nombre de structures institutionnelles et sociales en Suisse à même de favoriser les mères et les pères seuls ainsi que les familles sur le plan professionnel et économique. Elle plaide également en faveur d’équipements et d’espaces publics qui encouragent et soutiennent la vie avec les enfants. Les avortements ne doivent pas être évités à l’aide de sanctions, mais au travers de perspectives de vie.