Béatrice Métraux : «On m'a souvent traitée de protestante»

Béatrice Métraux : «On m'a souvent traitée de protestante»

Réélue au gouvernement vaudois dimanche 1er avril, la Verte Béatrice Métraux se verrait bien poursuivre son mandat au département de l'Intérieur. Dans son giron, les relations avec les Eglises et communautés religieuses. Quelles impulsions compte donner la ministre de confession catholique ? Interview.
(©Photo: 20 Minuten)


ProtestInfo : Philippe Leuba, un protestant de souche, dirigeait la département de l'Intérieur jusqu'à l'année dernière. La catholique pratiquante d'origine française que vous êtes a repris le flambeau. Les réformés du canton ont-ils du souci à se faire ?

Béatrice Métraux : Vous savez, mon mari est protestant, tout comme ma belle-famille. J'ai l'habitude de côtoyer des protestants et je ne suis pas une papiste fanatique ! Les réformés n'ont rien à craindre. J'ai d'ailleurs déjà rencontré les responsables des deux Eglises depuis le début de mon mandat en janvier. La convention qui les lie à l'Etat (ndlr : pour un montant total de 60 millions par an) va être rediscutée en 2013. Si je suis toujours en charge des cultes, je ne remettrai pas cette somme en cause.

En janvier, lors de la visite vaudoise de Mgr Morerod, l'évêque de Genève, Lausanne et Fribourg, vous avez parlé du canton comme d'un « laboratoire religieux ». Qu'entendez-vous par là ?

La Constitution de 2003 accorde aux Eglises réformée et catholique le statut d'institutions de droit public : l'Etat reconnaît la mission exercée par les Eglises au service de tous. Du coup, elles sont poussées à collaborer entre elles pour exercer ce qu’on appelle les «missions en commun» (ndlr : 55 postes en tout), à savoir notamment le travail d’aumônerie dans les hôpitaux, les EMS et les prisons ou auprès des réfugiés.

Ce « laboratoire religieux » ne concernerait donc que les deux Eglises principales ?

Non, la nouvelle Constitution permet aussi la reconnaissance d'autres communautés religieuses, via une loi adoptée en 2006. La loi fixe des cautèles, comme la transparence financière ou le respect des principes démocratiques. La communauté juive, par exemple, est reconnue d'intérêt public. Mes services planchent actuellement sur le règlement d’application. Il devrait bientôt être arrêté par le Conseil d’Etat en vue de la mise en route du système en 2012-2013.

Quid de la communauté musulmane ?

Les musulmans, c'est vrai, sont de plus en plus nombreux en Suisse et dans le canton. Ils disposent évidemment d'une liberté de culte, mais cela ne suffit pas. Il me semble que l'on doit intégrer ces communautés si l'on ne veut pas fracturer la société. Et l'intégration passe aussi par une reconnaissance de l'Etat. A quel titre? comment? Je ne le sais pas encore. Nous devons d'abord identifier quels sont nos interlocuteurs. C'est un travail de fond, qui demandera du temps. Mais nous devons faire ce pas vers les autres, ce qui est d'ailleurs un des principes fondamentaux de la foi chrétienne.

Les projets de mosquées qui ont avorté dans le canton (Payerne, Vevey,...) ne vous inquiètent donc pas ?

Je crois qu'il n'y a pas de volonté de stigmatiser la communauté musulmane, mais que des contraintes liées à l'aménagement du territoire sont en cause dans ces cas. Et comme l'aménagement du territoire est aussi de la responsabilité de mes services, j'étudierai ce problème avant de m'en inquiéter.

Au Mali, les musulmans avec qui nous travaillions pratiquaient leur foi, y compris chez nous, dans le jardin de notre maison, au moment des prières. Ils ont toujours expliqué à mes enfants ce qu'ils faisaient.

Comme juriste, vous avez effectué des missions en Afrique (Sénégal, Rwanda, Mali). Comment y avez-vous vécu la cohabitation entre chrétiens et musulmans ?

De l'intérieur, je ne connais pas d'autres islams que celui des pays d'Afrique de l'Ouest. A Bamako, au Mali, où j'étais en famille, j'ai côtoyé de près un islam paisible, ouvert. Les gens avec qui nous travaillions pratiquaient leur foi, y compris chez nous, dans le jardin de notre maison, au moment des prières. Ils ont toujours expliqué à mes enfants ce qu'ils faisaient. Petits, mes enfants ont donc baigné dans cette culture et cette cohabitation était normale. La mosquée n'était pas loin, on savait ce qui s'y passait. Nous allions à l'église catholique avec les chants, la ferveur et l'enthousiasme qui caractérisent souvent ces populations. J'ai vécu la même chose chez les catholiques rwandais.

Vous habitez aujourd'hui le Gros-de-Vaud, un des rares districts historiquement catholiques du canton. Comment appréhendez-vous la mixité confessionnelle ?

Mon mari est engagé dans l'Eglise réformée, tout comme l'un de mes deux fils. Nous vivons donc chacun notre foi, mais nous échangeons : je vais au culte, ils viennent à la messe. Nous discutons des missions cultuelles de l'Eglise, de notre manière d'appréhender la foi. Je n'ai jamais connu ça en France, dans la région du Nord, catholique et conservatrice, où j'ai passé ma jeunesse. Mgr Lefebvre, d'Ecône, en est d'ailleurs originaire.

Qu'est-ce qu'être catholique pour vous ? Quelle est sa marque de fabrique par rapport au protestantisme, par exemple ?

Je sens chez les protestants une certaine gravité. Si la société ne va pas bien, ils se sentent un peu coupables. Le protestant est plus marqué par le poids de sa responsabilité personnelle. Le protestantisme est parfois difficile à comprendre, très intellectuel. Chez les catholiques par contre, nous nous adressons ensemble à Dieu, de manière peut-être plus joyeuse. Cela dit, j'apprécie chez les protestants leur côté rigoureux, leur exigence morale. Leur pudeur aussi. On m'a d'ailleurs souvent traitée de protestante, parce que je n'aimais pas me mettre en avant. On m'a dit quelquefois : « Tu es plus protestante que les protestants ! »

En matière d'euthanasie, auriez-vous soutenu le contre-projet du Conseil d'Etat récemment voté si vous aviez encore été députée ?

Nous en avions parlé à l'époque avec le groupe des députés catholiques au Grand Conseil, dont j'étais. C'est un sujet difficile. La suppression de la vie doit être volontaire et accompagnée. Le contre-projet est une bonne réponse. Je crois fondamentalement à la responsabilité et la volonté personnelles. La personne doit pouvoir s'en aller si elle le veut, mais elle doit être accompagnée et le cadre posé doit être un cadre de paix.