Les écoles évangéliques font leur nid en Suisse romande
Les écoles confessionnelles évangéliques font leur nid en Suisse romande. L'une d'entre elles vient même de poser un pied en terres historiquement catholiques. Après dix ans à Payerne, Alliance pierres vivantes (APV) a ouvert ses portes cet été dans le canton de Fribourg, sur la commune de Siviriez. « Nous considérons les élèves comme des créatures de Dieu », affirme Dominique Schaller, porte-parole de l'association qui gère l'établissement. Suffisant pour inculquer aux têtes blondes (et aux autres) des thèses créationnistes?
« Si nous ne sommes pas créationnistes, alors ça ne sert à rien d'être évangéliques », lance Eric Tendon, président d'instruire.ch, l'association qui regroupe sept écoles privées évangéliques en Suisse romande, dont APV, et environ 300 élèves au total. L'enseignant ose une comparaison: « Prenez les Etats-Unis. Ils interdisent la fumée dans les lieux publics. L'Europe grogne, mais finit par s'y mettre. Ce sera pareil avec les thèses créationnistes. »
Mais l'homme s'empresse de préciser qu'il est plus habile de parler de créationnismes au pluriel, donc d'une interprétation plus ou moins littérale de la création du monde en sept jours que narre la Bible. « Chaque enseignant apporte ici sa propre sensibilité », précise M. Tendon. Reste que la thèse centrale est claire: on ne sépare pas foi et connaissance. Et on ne fait tout au plus que mentionner comme « une théorie parmi d'autres » celle de l'évolution des espèces chère à Darwin.
Question: cet enseignement est-il bien légal? Oui, affirme sans hésiter Daniel Christen, chef de la Direction générale de l'enseignement obligatoire du canton de Vaud. Qui précise: « Les cantons n'ont pas à se prononcer sur les méthodes d'enseignement des établissements privés ni sur leurs contenus pédagogiques. Chaque école peut profiler une spécificité, y compris religieuse. » Si les parents n'y adhèrent pas, ajoute-t-il, ils sont libres de replacer leur enfant dans le circuit public. Seule une mise en péril du développement de l'enfant justifierait une intervention étatique.
On l'aura compris, ce n'est pas le cas d'Alliance pierres vivantes, ni de ses six consoeurs romandes en terres historiquement protestantes: L'Amandier à Lucens, L'Aquarelle à Yverdon, La Bergerie à L'Isle, Le Potier à Oron, Timothée à Genève et La Vigne à Bienne. Mais l'installation d'APV dans le canton de Fribourg ne s'est pas fait sans quelques grincements de dents. D’abord, les qualifications lacunaires de certains enseignants ne leur ont pas permis d'exercer sur le territoire cantonal: la loi scolaire en matière de diplômes pédagogiques requis y plus stricte que sur Vaud.
Des inspecteurs s'assureront donc qu'« aucun d'entre eux ne rentre par la fenêtre », note Patrice Borcard, conseiller pédagogique auprès du Département l'instruction publique. Un signe de la fragilité du recrutement des équipes enseignantes pour de tels établissements. A Neuchâtel et à Gland (VD), par exemple, des écoles confessionnelles évangéliques n'ont pas pu rouvrir récemment, faute d'élèves et... d'instituteurs.
Ensuite, avec 20 élèves, l'offre d'APV reste marginale, mais elle continue d’intriguer. Elle propose en effet un enseignement individualisé sur neuf niveaux « avec du matériel que nous éditons nous-mêmes », précise Dominique Schaller. Le tout saupoudré de chants et de prières.
Et cela alors qu'à Fribourg, cas unique en Suisse romande, l'instruction publique ouvre largement ses portes aux catéchètes protestants et catholiques. Dûment formés par leur Eglise, ils y assurent une période hebdomadaire d'instruction chrétienne au primaire et au secondaire, où une heure d'éthique peut être suivie en remplacement.
Au final, si les écoles privées évangéliques n'ont pas (encore?) pris pied ni dans le Jura ni en Valais, leur effectif tend à croître légèrement. Leur vivier? Les Eglises évangéliques, bien sûr. Où certains parents tiennent à ce que leurs progénitures puissent « non seulement recevoir un enseignement nourri de valeurs chrétiennes, mais qu'ils puissent les vivre. »
Samuel Ramuz en collaboration avec Tania Buri
Les protestants réformés auraient-ils délaissé la carte scolaire romande? On pourrait le croire. Car l'instruction publique laïque qui a émergé au fil des siècles doit une fière chandelle au courant réformé, au sens large. Du coup, alors qu'elles étaient très présentes dans les cantons catholiques, les écoles rattachées à des paroisses protestantes réformées ont petit à petit quitté le paysage scolaire romand.
Reste une exception: l'Ecole protestante de Sion. C'est l'assemblée paroissiale qui y élit les membres de la commission scolaire, chargée à son tour de recruter les enseignants. « Mais nous sommes confessionnellement neutres », précise Walter Bucher, enseignant en charge de la direction de l'établissement qui compte quatre classes primaires.
Petite école de quartier
C'est d'ailleurs un des atouts de cette petite école de quartier. Car dans les autres établissements de la capitale épiscopale et du canton, à défaut d'enseignants formés, ce sont parfois des « intervenants ecclésiaux » qui assurent les heures de culture religieuse (méthode ENBIRO, pour « Enseignement biblique et interreligieux romand »), dont l'obédience catholique colore le plus souvent l'enseignement.
Sur inscription mais public, l'établissement accueille une huitantaine d'élèves, pour autant qu'ils résident sur le territoire paroissial (3 districts). Pasteur à Sion et vice-président de la commission scolaire, Didier Halter se réjouit de « ce moyen pour la paroisse réformée d'exister sur la place publique ».
A l'image du Valais, les écoles protestantes réformées fribourgeoises ont peu à peu quitté le terrain, alors qu'elle étaient fermement implantées à Bulle ou encore dans le chef-lieu il y a quelques années. « Les heures de catéchisme obligatoire (ndlr: dans tout le canton) sont la seule survivance de notre héritage réformé », note Véronique Fragnière, directrice de la section francophone de l'Ecole libre publique, une ancienne école protestante en ville de Fribourg. S.R.
Cet article a été publié dans :
Le quotidien romand Le Temps.