Première femme doyen à la Faculté des HEC de Lausanne, Suzanne de Treville dit non au tout économique

Première femme doyen à la Faculté des HEC de Lausanne, Suzanne de Treville dit non au tout économique

« Pas question de se coucher devant le capital ! »
L’affirmation n’émane pas d’un militant contre la mondialisation économique, mais de Madame le doyen de la Faculté de HEC de l’Université de Lausanne. Récemment nommée au décanat de la Haute Ecole, Suzanne de Treville porte un regard critique sur le monde économique et encourage ses étudiants à adopter une conduite éthique dans les affaires mais aussi dans leur vie. Interview.

Faire de l’économie une religion ? Inacceptable ! Suzanne de Treville n’a pas sa langue dans sa poche. Elle estime que ceux qui déifient l’argent, lui sacrifient famille, enfants et épanouissement personnel, ont tort. Originaire des Etats-Unis, diplômée de l’Université de Harvard, elle a travaillé dans l’industrie à New York, Philadelphie, mais aussi en Finlande, avant d’être nommée professeur ordinaire en il y a deux ans à l’Université de Lausanne. Elle est spécialisée dans la gestion des opérations et prône une éducation à l’éthique des affaires.

Il vous semble important de cultiver la notion d’éthique humaine, entrepreneuriale et environnementale ?

Il est important de travailler à contrer les dérives économistes. C’est pourquoi notre Ecole organise depuis cinq ans un cours d’éthique des affaires, donné par le professeur Guido Palazzo aux étudiants de 3ème année. Nous encourageons aussi nos étudiants à enrichir leur formation dans d’autres domaines de réflexion, par exemple les lettres, la philosophie, la théologie ou la chimie. La culture, l’éducation à l’éthique, l’ouverture à d’autres disciplines et d’autres formes de pensée sont capitaux pour prévenir les excès du tout économique et lutter contre les dérapages de la mondialisation.

La tendance est aujourd’hui au label équitable, à l’éthiquement correct pour les entreprises.

Encore faut-il qu’elles tiennent leurs engagements et respectent les droits de leurs fournisseurs et de leurs employés tout au long de la chaîne de production ! Quand le consommateur achète un produit qui se veut éthiquement correct, il souscrit à une valeur, il fait en fait un choix politique pour ou contre un entreprise.

L’éducation à l’éthique en milieu universitaire suffit-elle à rendre l’économie éthiquement plus acceptable ? N’est-ce pas un peu utopique ?

Il faut faire une distinction entre la formation qui permet d’être engagé dans une entreprise et l’éducation qui améliore la qualité de la vie et permet à l’étudiant de choisir un travail qu’il aime. Il est capital de chercher l’équilibre entre les deux et d’apprendre à agir comme des êtres humains et non pas seulement comme de froids gestionnaires, à plat ventre devant l’argent. Apprendre à penser au-delà des intérêts purement économiques s’avère payant. Quand on pense de façon simpliste, on peut se fourvoyer. Prenez par exemple la question de la délocalisation. Actuellement, beaucoup croient que produire au Bangla Desh coûte moins cher. C’est sans compter les délais de livraisons souvent longs, ce qui fait que la production risque d’être démodée, dépassée ; c’est sans compter les pertes qui peuvent s’élever à 25% de la production, et le coût des transports, mais aussi la pression sur l’environnement. Il vaut mieux parfois fabriquer chez soi pour pouvoir réagir rapidement à la demande, faire du sur mesure dans des délais courts. La délocalisation n’est pas la panacée. Je lutte pour ma part contre la mondialisation à tout prix.

N’allez-vous pas à contre-courant ?

On assiste actuellement à un mouvement semblable dans bien les hautes écoles américaines de management où se forment les entrepreneurs de demain. On y encourage une vision plus éthique de l’économie. Le capital n’est plus tout, à nous dans notre école, de transmettre cette vision.