Le vendredi 13 ne terrifie peut-être pas depuis si longtemps que ça

Le vendredi 13 ne terrifie peut-être pas depuis si longtemps que ça

Les recherches menées sur les superstitions sont fortement connotées. L’historien Yann Dahhaoui s’est passionné pour cette question qui n’a pas encore livré tous ses mystères.

Photo: Les chats noirs sont également accusés de porter malheur CC(0)

Mais d’où vient la crainte du vendredi 13? Difficile de répondre à cette question sans être influencé par notre culture et nos préjugés, selon Yann Dahhaoui premier assistant à l’Institut d’histoire et anthropologie des religions à l'Université de Lausanne qui a approfondi la question des superstitions. «Il est difficile de prouver qu’un lien existe entre une superstition et une autre. En cherchant à remonter vers les origines d’une tradition, on risque de créer des liens qui n’existent pas, mais qui satisfont le besoin que nous avons d’établir une généalogie entre les croyances.»

L’usage de la notion même n’est pas neutre: «on a fixé une frontière un peu violente entre les croyances et comportements légitimes, d’un côté, et les superstitions, illégitimes, de l’autre. Parler de “superstition”, c’est déjà poser un jugement moral», souligne l’historien. Le contenu de cette notion dépend grandement du locuteur: l’Église médiévale qualifiait de superstition les croyances païennes, les réformateurs les pratiques des croyants restés fidèles à Rome. Au XVIIe siècle, la superstition ne s’oppose plus à la religion, mais à la raison. «La grille d’analyse des superstitions établie par les moralistes à la fin du XVIIe siècle a été reprise par les folkloristes au XIXe siècle. La superstition est devenue un objet d’étude académique sans que la notion ne se soit jamais entièrement dissociée du discours moral», note Yann Dahhaoui.

Suggérer l’antiquité de la superstition

Pour chaque superstition, il existe des histoires qui expliquent les origines et la raison de la croyance. La crainte du vendredi 13 est peut-être liée à la crainte, à la fin du XIXe siècle, d’être 13 à table un vendredi, que l’on explique déjà à cette époque par l’institution de la Cène ou un repas de 13 dieux scandinaves à l’occasion duquel Loki, le dieu de la discorde, tue l’un d’eux. «Tous ces récits sont inventés a posteriori, avec la volonté de justifier la superstition. Ils recourent à des mythologies anciennes pour suggérer l’antiquité de la superstition.»

L’idée que le vendredi 13 porterait malchance est en réalité relativement moderne. «En août 1906, Thomas William Lawson, homme d’affaires américain, publie un roman intitulé “Friday the Thirteenth” (Vendredi 13), dans lequel un courtier choisit ce jour pour faire tomber Wall Street. Puis dans son numéro du 14 septembre 1907, le New York Times évoque une institutrice qui choisit de “défier le destin” en se mariant un vendredi 13. Enfin, en 1916, le réalisateur viennois Richard Oswald consacre le deuxième film de sa trilogie “Das unheimliche Haus” (la maison sinistre), à une malédiction qui touche la famille Eulenstein: chaque vendredi 13, un membre de la famille meurt», énumère le chercheur.

Une crainte pas si universelle que ça

La crainte du vendredi 13 n’est par ailleurs pas partagée mondialement. «En Italie, jusque récemment c’était les vendredis 17 qui terrifiaient. Les chiffres porte-malheur changent d’une culture à l’autre. Au Japon, c’est le 4, dont le nom shi signifie aussi “mort”», rappelle Yann Dahhaoui.

Si la superstition n’est pas dénuée de conséquences (les avions sont parfois privés de rangée 13 et les immeubles de 13e étage), les études menées par plusieurs compagnies d’assurance montrent en revanche que leurs clients sont particulièrement prudents ce jour-là, puisque les vendredis 13 sont en moyenne moins accidentogènes que les autres jours de l’année!