Les orthodoxes ukrainiens se tournent vers le patriarcat de Kiev

Les orthodoxes ukrainiens se tournent vers le patriarcat de Kiev

En Ukraine, deux Églises orthodoxes se disputent les paroisses
L’une historique affiliée à Moscou et l’autre indépendante fondée en 1992 à Kiev. Les tensions politiques entre les deux pays alimentent les rivalités entre les deux Églises.

Photo: © RNS/AP photo/Sergei Chuzavkov

, Kiev, RNS/Protestinter

Le révérend Andriy Lototskiy a peut-être pris la plus difficile décision de sa vie: il a dû choisir entre sa foi et ses fidèles. En 2014, Andriy Lototski prêchait depuis 14 ans dans l’église Saint Volodymyr à Strilche, un petit village dans l’ouest de l’Ukraine. Cet été-là, alors que les séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine cherchaient à s’affranchir du gouvernement central de Kiev, ses paroissiens se sont retournés contre lui et lui ont demandé de remettre les clés de son église. Ils n’avaient rien contre ses prédications. C’était ce qu’il représentait.

Andriy Lototskiy était prêtre de l’Église orthodoxe ukrainienne, la plus grande communauté religieuse de l’ex-république soviétique. Le problème: cette Eglises est affiliée à l’Église orthodoxe russe et promet fidélité à son primat, le patriarche Kirill de Moscou. Ses fidèles avaient décidé de rejoindre une vague de croyants qui avaient opté pour une nouvelle Église orthodoxe ukrainienne fondée en 1992.

«Je suis entrée dans mon église et je les ai entendus prier pour Kirill», se souvient Maria Satayeva, une enseignante d’allemand de 36 ans, raison pour laquelle elle a quitté l’Église affiliée aux Russes en 2014. «Je ne pouvais plus être là». En Ukraine, environ 70% de la population s’identifie comme chrétiens orthodoxes orientaux. Le reste des croyants appartient principalement à l’Église catholique grecque ukrainienne, à l’Église catholique romaine ou à diverses Églises protestantes.

La Crise de Crimée

L’Église orthodoxe ukrainienne d’origine est subordonnée à Moscou depuis le XVIIe siècle, avant même que l’Ukraine ne fasse partie de l’Empire russe. Cette relation a perduré après que le pays se soit séparé de l’Union soviétique. Mais ces liens ont commencé à poser problème en 2014, lorsque des troupes proches de la Russie ont pris le contrôle de territoires ukrainiens de la péninsule de Crimée, provoquant un conflit armé dans l’est de l’Ukraine et la chute du président Viktor Ianoukovitch, allié du président russe Vladimir Poutine. Aujourd’hui, de nombreux paroissiens orthodoxes d’Ukraine prennent leurs distances vis-à-vis de l’Église soutenue par la Russie, dont les hiérarques sont un pilier essentiel de la politique de Poutine.

Toutefois, les dirigeants de l’Église soutenue par Moscou nient que la Russie exerce une influence politique sur eux. «Les gens vont à l’église pour prier, pas pour la politique», a expliqué l’archevêque Kliment, de l’Église orthodoxe ukrainienne soutenue par Moscou. «Nos Églises n’ont aucun lien avec l’État russe moderne».

Une décision douloureuse

Après de longues réflexions, Andriy Lototski a décidé de rester auprès de ses paroissiens et de s’affilier au Patriarcat de Kiev. Une décision douloureuse. «Au début, tous mes amis se sont détournés de moi», se rappelle-t-il, faisant référence aux autres prêtres de son Église. «Ils ont dit que j’avais trahi la vraie Église».

Environ 60 paroisses se sont tournées vers l’Église basée à Kiev depuis 2014. Le Patriarcat de Moscou n’a jamais reconnu son rival de Kiev, formé dans le cadre d’une renaissance du nationalisme ukrainien après la chute de l’Union soviétique en 1991. Ni le principal dirigeant chrétien orthodoxe, le patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople, basé à Istanbul.

Selon Ivan Sydor, un prêtre du Patriarcat de Kiev, l’absence de reconnaissance du patriarche de Constantinople est une des principales raisons pour les paroissiens et les prêtres de rester dans l’Église orthodoxe ukrainienne affiliée à la Russie. «Je suis sûr que de nombreux prêtres (de l’Église soutenue par Moscou) iront s’installer dans l’Église de Kiev le lendemain de sa reconnaissance». Mais les chances d’obtenir la reconnaissance du patriarcat de Constantinople ne sont pas d’actualité.

Moscou influence Constantinople

Bien que Bartholomée soit le chef spirituel de tous les croyants orthodoxes, sa propre Église en Turquie et dans certaines parties de la Grèce reste petite et pauvre. Quant à elle, l’Église russe, dont le territoire couvre toute la zone de l’ex-Union soviétique, est de loin la plus grande et la plus riche du monde orthodoxe. «Moscou a une influence sur Constantinople», a souligné Ivan Sydor. «Si l’Église ukrainienne est reconnue, Moscou se détachera de Constantinople et se proclamera nouveau centre du christianisme orthodoxe».

Les enjeux en Ukraine sont particulièrement importants. Les deux Églises rivalisent pour près de 30 millions de personnes, selon des enquêtes récentes. Il est difficile d’estimer laquelle rassemble le plus de paroissiens. L’Église soutenue par Moscou compte 12’300 paroisses contre les 5’100 paroisses de l’église indépendante. Environ 40% de tous les croyants orthodoxes ukrainiens se sont identifiés à l’Église ukrainienne en 2017, tandis que 25% ont choisi le Patriarcat de Moscou, selon une enquête menée conjointement par quatre chercheurs basés à Kiev. Mais l’absence de données en Crimée et dans les territoires déchirés par la guerre dans l’est de l’Ukraine, où l’Église russe est populaire, fausse probablement les sondages.

La rivalité entre les deux Églises est frappante. En janvier dernier un prêtre de l’Église soutenue par Moscou a refusé d’organiser l’enterrement d’un enfant baptisé dans une Église du Patriarcat de Kiev, malgré les supplications des parents. L’incident a déclenché un scandale national.

De fortes rivalités

Peu après, une Église patriarcale de Moscou a été incendiée dans la ville de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. Son prêtre a accusé les manifestants nationalistes qui avaient organisé un rassemblement devant l’église peu avant l’incendie.

Parallèlement, deux protestataires ont incendié une chapelle du patriarcat de Moscou à Kiev. Les manifestants ont déclaré aux médias ukrainiens que l’attaque ne portait pas sur la religion, mais sur le fait que «la Russie avait volé l’histoire de l’Ukraine» puisque la chapelle se trouvait sur le site historique d’une ancienne église.

Certains paroissiens sont las de la rivalité entre les deux Églises. Les sondages montrent qu’environ 31% des Ukrainiens refusent de choisir une des Églises, s’identifiant simplement comme des orthodoxes orientaux. Levgenii Gryban, un musicien de Kiev, est l’un d’eux. Il avait l’habitude d’aller dans un édifice religieux du patriarcat de Kiev, mais il en a eu marre du prêtre qui parlait de politique en chaire. «Il disait des choses intelligentes avec lesquelles je suis d’accord, mais j’estime qu’elles n’ont pas leur place à l’Église», a-t-il expliqué. Dès lors, il se rend dans une Église alliée avec le Patriarcat de Moscou. «Je ne pense pas que Dieu se soucie de savoir si l’Église est liée avec Moscou ou avec Kiev».