Le risque de l’argument divin

Le risque de l’argument divin

Protestinfo propose régulièrement des éditos rédigés par des membres de Médias-pro ou des rédactions partenaires.

Journaliste à «Réformés», Marie Destraz décortique le malaise suscité par la question soulevée de la place des homosexuels dans la future HET-Pro.

Photo: Le campus de Saint-Légier ©HET-PRO

Vivre une relation homosexuelle et étudier à la HET-Pro est inimaginable. Il aura suffi de cette seule phrase parue dans un article sur le site alémanique ref.ch résumant hors citation la position de Jean Decorvet, futur recteur de la Haute école de théologie en Suisse romande (HET-Pro) pour remettre le feu aux poudres entre les milieux évangéliques et LGBT. La position n’étonne pas dans le sérail protestant, mais alors que l’information est reprise dans les médias, sur les réseaux sociaux, les internautes s’écharpent.

Les propos du futur recteur dérangent. En Suisse, la discrimination fondée sur le mode de vie est interdite, rappelle la Constitution fédérale. Mais l’orientation sexuelle est-elle un mode de vie? Le doute persiste. L’institution mise en cause ne l’ignore pas. Sur le site de la HET-Pro, un communiqué tente d’atténuer la polémique: l’orientation sexuelle n’est pas un critère d’admission, les étudiants homosexuels seront accueillis. Pour autant, elle ne cautionne pas la pratique homosexuelle, un style de vie que la Bible ne légitime pas. Le couple est formé d’un homme et d’une femme, c’est le souhait de Dieu. La HET-Pro n’en démord pas.

Rassuré? Pas vraiment. La nuance sur laquelle joue la Haute Ecole relève d’un vide juridique de notre pays. Aujourd’hui, désapprouver ou attaquer une orientation sexuelle en termes généraux ne tombe pas sous le coup de la loi. Mais d’ici deux ans, tout pourrait changer. Hasard du calendrier, le 17 mars, le Conseil national a décidé de prolonger de deux ans le délai imparti pour mettre en œuvre l’initiative de Mathias Reynard, rapporte la RTS. En 2013, le socialiste valaisan a déposé une initiative parlementaire demandant l’extension de la norme antiraciste aux attaques liées à l’orientation sexuelle et acceptée par les deux Chambres.

La HET-Pro qui fait de l’œil à l’Etat n’a donc d’autre choix que de marcher sur des œufs.

A la rentrée prochaine, la nouvelle formation «protestante, professante, professionnalisante», de mouvance évangélique, ouvre ses portes à Saint-Légier. Mais d’ici 2022, l’institution privée compte bien acquérir le titre de Haute école spécialisée (HES). A la clé, un premier pas vers la reconnaissance étatique. Un titre convoité de longue date par la communauté évangélique, qui soutient corps et âme la nouvelle formation en théologie. Et, cerise sur le gâteau, le statut de HES donne droit à des subventions de l’Etat, une aubaine pour l’institution qui jusqu’à présent profite de fonds privés.

A l’automne, la HET-Pro pourra déposer sa demande d’accréditation. Aujourd’hui, elle met de l’eau dans son vin espérant ainsi trinquer avec l’Etat. Mais l’argument divin persiste, un risque que prend et assume la Haute école, sous peine de se voir refuser la légitimité tant désirée.