Vaud: Eglises absentes du référendum contre la loi anti-mendicité

Vaud: Eglises absentes du référendum contre la loi anti-mendicité

Il y a deux semaines, une initiative de l’UDC visant a interdire la mendicité sur le territoire cantonal a été acceptée de justesse. Lundi 10 octobre, un groupe regroupant des représentants associatifs et politiques annonçait le lancement d’un référendum. Bien que solidaires avec la cause, les grandes Eglises en sont absentes.

Photo: De gauche à droite: Anne-Catherine Reymond (Sant'Egidio), Joao Lemos (Emmaüs), Yan Desarzens (Fondation mère Fofia). Véra Tchérémissinoff (Opre Rrom) et Hadrien Buclin (solidaritéS) lors de la conférence de présentation du référendum.

«Interdire la mendicité sans offrir une alternative crédible, c’est mépriser le pauvre, nier son existence et se déresponsabiliser. “Il y aura toujours des indigents dans le pays; c’est pourquoi je te donne ce commandement: Tu ouvriras ta main à ton frère, au pauvre et à l’indigent dans ton pays”, lit-on dans la Bible. (Dt 15:11)» La prise de position de la communauté de Sant'Egidio est sans appel.

Tout comme Sant'Egidio, la communauté Emmaüs s’est engagée aux côtés de la Fondation mère Sofia, de l’association de solidarité avec les Roms Opre Rrom, du Parti ouvrier et populaire (POP), de solidaritéS, des jeunes socialistes vaudois et de représentants des Verts et des jeunes libéraux-radicaux pour annoncer que des la publication du texte de l’initiative dans la Feuille des avis officiels, ils récolteront des signatures contre cette décision du Grand Conseil vaudois. Par ailleurs, les référendaires ont également écrit au Conseil d’Etat pour demande qu’un contre-projet soit opposé au texte de l’UDC.

Grandes absentes de cette coalition contre l’interdiction de la mendicité, les Eglises catholique et réformée du canton de Vaud. Sollicité par Protestinfo, le porte-parole de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud déclare: «Le Vicariat vaudois ne prendra pas position sur l’interdiction de la mendicité.» Du côté de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud (EERV), c’est une réponse tout en nuance: «Nous soutenons la lettre au Conseil d’Etat demandant un contre-projet», déclare la conseillère synodale Line Dépraz. «Par contre l’EERV ne prendra pas part au référendum.»

Le référendum est en effet difficile: «Il n’est pas certain qu’il aboutisse», a reconnu le conseiller communal lausannois solidaritéS, Hadrien Buclin, lors de la conférence de presse «C’est dur d’obtenir 12’000 signatures, en 60 jours. C’est pourquoi nous lançons un appel aux citoyens indignés par cette initiative pour qu’ils participent à la récolte.» Mais Christiane Jaquet-Berger du POP se dit optimiste: «Il y a encore des valeurs au sein de la population.» «Il est vrai que le risque existe qu’un tel référendum devienne un enjeu de campagne à quelques mois des élections cantonales», prévient Ilias Panchard, coprésident des jeunes verts suisses.

«Même lorsqu’une pratique dure est menée, les Eglises ne laissent pas les mendiants», souligne Line Dépraz, rappelant la tradition protestante (voir encadré). «Calvin a interdit la mendicité, mais en même temps, il a créé l’Hospice général.» Dans un communiqué, l’EERV rappelle les nombreux engagements en faveur des mendiants: «les Eglises s'engagent dans de nombreux projets visant à proposer aux pauvres des chemins d'intégration. Ici, elles contribuent par leurs pastorales sociales à aider des personnes et des familles: accompagnement dans la recherche d'emploi, soutien dans la scolarisation des enfants roms, etc... Dans les pays d'origine de certains mendiants, elles soutiennent des projets autour de l'éducation, du logement et de la création d'emploi.»

Au XVIe siècle, les protestants ont tenté de régler la question de la mendicité

Entretien avec Michel Grandjean, prof. d’histoire du christianisme à l’Université de Genève.

Historiquement, quels rapports les Eglises catholique et protestante entretiennent-elles respectivement avec la mendicité?

Dans l’Eglise médiévale, le pauvre, l’exclu, le lépreux, le mendiant apparaissent souvent comme autant d’images du Christ. Ainsi, dans les villes, on trouve toujours des mendiants, qui bénéficient de la charité privée ou ecclésiale. Dans les campagnes, la personne qui mendie fournit une contre-prestation, comme une participation aux travaux des champs. Avec la Réforme, les choses changent un peu, mais pas pour exclure radicalement la mendicité. L’aide au mendiant n’est plus une œuvre qui concoure au salut, elle est la conséquence de la justification par la foi qui m’est déjà donnée. Je suis sauvé, donc je me comporte de manière charitable selon la volonté de Dieu. Dans la Genève de Calvin, point de mendiants: les pauvres doivent être embrigadés dans des travaux publics. En d’autres termes, on donne du travail à celui qui n’en a pas. Quand des réfugiés se pressent à Genève, dès les années 1550, c’est une institution (nommée la Bourse) qui subvient à leurs besoins.

La société romande a-t-elle été influencée par les Eglises dans ce domaine?

Incontestablement. En mettant en place des institutions de bienfaisance publique, les villes de la Réforme tentent de régler la question de la mendicité: à Genève, pour prendre encore cet exemple, l’hôpital, c’est-à-dire l’hospice où l’on regroupe les pauvres et les malades, est fondé en 1535, l’année même où le Conseil interdit la célébration de la messe.

Propos recueillis par Noriane Rapin