Ce pauvre que l’on voulait soigner

Ce pauvre que l’on voulait soigner

La Fédération des Eglises protestantes a organisé un colloque sur la question du rôle des Eglises réformées dans les placements forcés et les mesures de coercition à des fins d’assistance.

Photo: De gauche à droite, Simon Hofstetter de la FEPS anime une table ronde avec les historiens Pierre Avvanzino, Thomas Huonker et Loretta Seglias.

Enfants arrachés à leur famille, internements sur décision administrative ou stérilisations forcées; les mesures de coercition à des fins d’assistance ont été pratiquées jusqu’en 1981 dans notre pays. Quel rôle les Eglises réformées ont-elles joué? Impossible de répondre de manière exhaustive à cette question, a souligné Loretta Seglias, docteure en histoire et membre de la commission indépendante d’expert sur les internements administratifs, en introduction de son intervention présentée lundi 21 mars à Berne, lors de la journée consacrée à cette thématique par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Chaque canton, voire chaque région avait développé des pratiques différentes et le travail des historiens ne fait que commencer sur cette page sombre de l’histoire suisse.

Aucune mesure contre les abus

Souvent, des enfants ont été arrachés à leur famille, simplement parce que celle-ci était pauvre. «Il y avait toujours des familles qui accueillaient des enfants parce que leur bien-être leur tenait à cœur», rappelle Loretta Seglias. «Mais le système en place laissait place à de nombreux abus.» Un avis partagé par Thomas Huonker, également historien et membre de la commission d’experts. «Ce n’est pas dans le fait qu’il y a eu des placements que se trouve le scandale. Mais dans le fait qu’il n’y a pas eu des prises en charge de ces enfants.»

«Si des fautes ont été commises dans la pratique des mesures de coercition à des fins d’assistance, il serait trop réducteur de les considérer seulement comme des manquements individuels. Il faut au contraire les replacer dans un contexte plus large, structurel: celui du manque de moyens financiers pour la prise en charge, du manque de collaborateurs qualifiés, du manque de contrôles et aussi, plus généralement, du manque d’intérêt et d’attention de la part des la société dans son ensemble», a conclu Esther Gaillard, membre du Conseil de la FEPS.

La pauvreté, ce péché

L’industrialisation, au XIXe siècle, enrichit le pays, mais s’accompagne de la paupérisation d’une partie de la population. Les abus qui débutent alors trouvent leurs racines dans différentes doctrines. «Depuis la réforme, la pauvreté est devenue un problème pour les croyants», a rappelé Loretta Seglias. «Alors que chez les catholiques, venir en aide aux pauvres élève le croyant, chez les protestants la pauvreté est perçue négativement. Il faut mettre en place des mesures pour l’éradiquer» note Thomas Huonker.

«Il y a toute une poétique qui est en train de voir le jour, autour de la propreté, de la beauté, de la neige. Donc le péché est représenté par la saleté, l’indigence, la pauvreté», ajoute Pierre Avvanzino, professeur honoraire à la haute école d’études sociales et pédagogiques de Lausanne.

Mettre les pauvres au travail

«Le pauvre n’est accepté socialement que s’il est mis au travail», ajoute Pierre Avvanzino. Il a étudié les œuvres philanthropiques mises en place par la grande bourgeoisie protestante proche des milieux du réveil. Ces structures apportent une aide très organisée. «Les villes sont quadrillées de façon systématique. Cette organisation vise à débusquer la pauvreté factice et à mesurer l’impact de l’aide apportée.»

Au niveau de l’éducation, l’idée que le labeur permettra d’«éduquer» ses enfants est courante. Pierre Avvanzino a également mené une recherche sur l’«asile rural» d’Echichens, où des jeunes étaient mis au travail «dans une discipline militaire.» Mais leur éducation scolaire laissait par contre à désirer.

L’enfant vicieux

L’idée que la pauvreté est une tare qui se transmet de génération en génération voit le jour. «Leurs vices sont déjà présents à la naissance; ces tendances mauvaises sont les conséquences du péché originel et d’une transmission héréditaire des vices des parents. Il se produit une généralisation du fatalisme génétique présent dans les classes populaires. Des mesures préventives contre cette forme de dégénérescence de la race doivent être prises», écrivait Auguste Forel. «En raison de leur grave défaut, ces enfants ne peuvent pas être élevés par des moyens normaux», analyse Pierre Avvanzino.

Thomas Huonker rappelle que cette idée a conduit à l’interdiction faite aux plus pauvres de se reproduire, ainsi qu’à des stérilisations forcées. «On y voyait le danger de la contamination de la population saine par des bases malsaines», résume l’historien.

Les actes de ce colloque feront l’objet d’une publication. La FEPS poursuit son effort en faveur de la recherche historique dans ce domaine.