«NEM Dublin»

«NEM Dublin»

Protestinfo laisse régulièrement carte blanche à des personnalités réformées.

Le professeur de théologie systématique Pierre Bühler condamne la pratique du renvoi administratif des requérants d’asile.

Photo: Lausanne, le 15 septembre 2015. Manifestation du collectif R, qui occupe l’église Saint-Laurent et demande un moratoire sur les renvois Dublin. CC(by-nc-nd) Gustave Deghilage

«NEM Dublin»: cette formule un peu énigmatique relève du langage de l’asile. Elle veut dire: «non-entrée en matière sur la requête d’asile, parce que le requérant d’asile tombe sous la règle des accords de Dublin, c’est-à-dire qu’il peut être refoulé vers le pays par lequel il est entré en Europe, le pays de premier accueil». Cela signifie la plupart du temps un renvoi en Italie, mais plus récemment aussi en Hongrie, et ailleurs, comme récemment une mère seule venue de Kobané, ville martyre du nord de la Syrie, expulsée par la police d’un centre neuchâtelois avec ses deux enfants vers la France.

Depuis septembre 2015, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), à Berne, décide des «NEM Dublin» à tour de bras, et ce sont ainsi des centaines et des centaines de requérants d’asile qui sont menacés d’expulsion de Suisse sur la base de la «règle Dublin». Cette politique a de quoi étonner. En effet, depuis l’été déjà, plusieurs politiciens européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel, mais aussi notre présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga, s’entendent pour dire qu’au vu des défis nouveaux que connaît la migration, les accords de Dublin sont totalement dépassés.

Il est injuste et intenable de renvoyer les requérants vers les pays limitrophes de l’Europe. Chaque pays doit participer de manière équitable et donc traiter ses requêtes d’asile, au lieu de laisser d’autres pays s’en occuper. C’est pourquoi l’Europe cherche –et peine à trouver!– une équitable répartition des requérants d’asile, appelée à remplacer les «renvois Dublin».

Et pourtant, comme si de rien n’était, les services du SEM prononcent leurs «NEM Dublin» encore et encore. A croire qu’on veut profiter de cet accord aussi longtemps qu’il est encore en vigueur pour se débarrasser du plus grand nombre possible de requérants. Et cette politique n’a pas seulement de quoi étonner, elle a aussi de quoi inquiéter. En effet, on sait que l’Italie est totalement dépassée par la situation, en accueillant sans cesse de nouveaux arrivés et en récupérant tous ceux qu’on lui retourne. Y renvoyer des requérants, c’est les exposer à la détresse: ils ne jouiront d’aucune structure d’accueil, devront souvent vivre dans la rue, abandonnés à eux-mêmes. La situation est encore pire en Hongrie, un pays hostile à l’asile, qui vient de radicaliser ses lois et où ces personnes risquent donc de se faire emprisonner pour être expulsées encore ailleurs.

Les décisions «NEM Dublin» sont iniques. Elles contribuent à créer de l’errance, à jeter des personnes déjà fragilisées par leur long exil dans un nouveau désespoir. Les décisions s’appliquent même à des personnes qui n’ont pas été officiellement enregistrées (avec leurs empreintes digitales) en Italie: le simple soupçon qu’elles doivent avoir passé par là suffit! Et l’Italie ne doit pas répondre à la demande de réadmission de la Suisse: si elle ne dit rien, c’est un accord tacite. C’est dire combien peu on s’engage à une prise en charge minimale!

On ne cesse de nous faire peur dans les médias, en nous parlant des masses de requérants d’asile qui arrivent en Suisse. On redoute une augmentation exponentielle, on panique, on exige des mesures d’urgence. Mais pourquoi ne nous dit-on jamais combien de centaines, voire de milliers de requérants risquent le rejet dans la précarité, la solitude et la désolation? Est-ce la honte qui impose une lourde chape de silence?