L’applaudimètre du pape

L’applaudimètre du pape

Protestinfo laisse régulièrement carte blanche à des personnalités réformées.

La théologienne neuchâteloise Muriel Schmid, vit aux Etats-Unis (Salt Lake City et Chicago) depuis une dizaine d’années. Directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix, elle analyse les réactions suscitées par le discours du pape devant les deux chambres du Congrès.

Photo: La foule suit le discours du pape devant le Capitole CC(by-nc-nd) Stephen Melkisethian

Au matin du 24 septembre, le pape François était invité à parler devant les deux chambres réunies du gouvernement américain. Evénement plutôt surprenant dans une démocratie laïque! La distinction entre politique et religion s’est vue brouillée ce matin-là, mais dans le fond cela était peut-être l’occasion de mettre en évidence les ambiguïtés du discours politique américain.

En cette période pré-présidentielles où les débats politiques battent déjà leur plein, les propos de François faisaient subtilement écho aux thèmes abordés dans la campagne électorale actuelle: l’immigration, la pauvreté, le droit à la vie, l’armement, le réchauffement climatique, les réfugiés… Dans cette série d’appels, quelques surprises évidemment.

Si le pape a mentionné la nécessité de protéger la vie humaine dès son plus jeune stade, il n’a pas prononcé le mot controversé d’avortement et surtout, il a clairement condamné la peine de mort invoquant le principe même du respect à la vie. Non seulement son langage rappelait la position des évêques catholiques américains qui publiaient en mars dernier une déclaration contre la peine de mort, mais il démasquait également la contradiction inhérente aux partisans américains du pro-life qui, en règle générale, soutiennent en toute bonne conscience la pratique de la peine de mort.

Le pape ne s’est pas gêné de faire référence à la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis qui garantit «the pursuit of happiness» (la recherche du bonheur) comme un droit inaliénable accordé à tout être humain. Rappelant que le peuple américain est un peuple d’immigrés, le pape a exhorté à la compassion dans l’accueil de l’étranger plutôt qu’à la peur sécuritaire qui envahit les médias du pays. En même temps, il n’a pas manqué de critiquer l’économie américaine qui bénéficie grandement de la vente d’armes dans le monde entier, en particulier en Syrie!

Dans la même veine, il a également parlé, brièvement, du fondamentalisme religieux le comparant à tout autre fondamentalisme idéologique. Après les méchantes attaques formulées par certains médias américains à l’égard du pape et de ses critiques du système capitaliste, on ne peut être dupe de cette dénonciation des idéologies de tous bords qui génèrent intolérance et persécutions.

Dans ce contexte hautement politique, il fut explicitement interdit aux députés et sénateurs présents lors du discours du pape d’applaudir à ses propos de manière partisane. Une tentative de ne pas mélanger le religieux et le politique sous la coupole du gouvernement qui a échoué; l’audience n’a pas caché ses affinités!

L’applaudimètre du pape a ainsi fait écho au climat politico-religieux des Etats-Unis. L’appel à l’abolition de la peine de mort a provoqué du bruit, l’appel à l’accueil des réfugiés et immigrants également. Moins populaires par contre, la dénonciation du commerce d’armes ou l’allusion au réchauffement climatique. Deux surprises à l’applaudimètre papal, un silence inquiétant et un brouhaha tout aussi inquiétant, me semble-t-il.

Le silence d’abord: le Pape, comme il a déjà eu l’occasion de le faire à d’autres reprises, a fait référence aux violences de la colonisation du continent américain, au génocide des populations indigènes et à leurs droits aujourd’hui encore bafoués; les membres du Congrès n’ont pas applaudi, pas bougé. Le brouhaha enfin: le pape a cité la Règle d’or («Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous: c’est là ce qu’enseignent les livres de la loi de Moïse et des Prophètes.» Matthieu 7:12) pour illustrer le besoin de compassion à l’égard des réfugiés, des migrants, des pauvres et des sans-abris; la Règle d’or a largement et étrangement gagné à l’applaudimètre!

Courageux, le pape a fait référence à Dorothy Day, à son Evangile social et au mouvement des «Catholic Workers» (travailleurs catholiques qu’elle a fondé). Dorothy Day, personnage pratiquement inconnu de ses compatriotes, est en voie de canonisation; une sainte en devenir qui montre une image radicale du catholicisme américain et que le pontife n’a pas hésité à associer aux grandes figures de l’histoire américaine qui ont lutté pour la justice: «Le pape François a loué Day, King, Lincoln et Merton pour l’usage qu’ils ont fait de leurs rêves de justice, égalité, liberté et paix pour faire de l’Amérique un meilleur endroit», a résumé la radio publique NPR. La mention de son nom a provoqué passablement d’interrogations dans les médias américains.

La juxtaposition entre le succès de la référence papale à la Règle d’or et l’étonnement des foules face à son plaidoyer pour le travail et la foi de Dorothy Day est révélatrice peut-être d’un discours public américain qui ne cesse de décontextualiser les injonctions bibliques et se les approprie à des fins politiques, très souvent pour défendre les privilèges de la classe dominante. Mais qui de nous peut jeter la première pierre?