Monika Maire-Hefti: «Le canton de Neuchâtel poursuit son effort pour que le dialogue entre religions ait lieu»

Monika Maire-Hefti: «Le canton de Neuchâtel poursuit son effort pour que le dialogue entre religions ait lieu»

Cheffe du Département de l’éducation et de la famille, et présidente du Conseil d’Etat neuchâtelois depuis quelques jours, Monika Maire-Hefti défend la politique d’optimisation des finances cantonales qui a mené à la fermeture de la Faculté de théologie de Neuchâtel. Interview.

Photo: Le bâtiment de la faculté de théologie ©UniNe/Mario Cafiso

Propos recueillis par Joël Burri

Est-ce que fermer une faculté de théologie est un acte politique?

Oui, c’est un acte politique, surtout quand il s’inscrit dans une longue histoire: Neuchâtel a une faculté de théologie depuis des siècles. C’est vrai que ce n’est jamais de gaité de cœur qu’un gouvernement, avec le rectorat, prend une décision de fermer une faculté. Néanmoins dans le contexte dans lequel vit aujourd’hui le canton de Neuchâtel, la situation financière nous a évidemment obligés à réfléchir de manière différente qu’il y a quelques années encore. En regard du nombre d’étudiants neuchâtelois inscrits en théologie –entre deux et trois étudiants par année- cela faisait sens de mettre sur pied une convention de collaboration avec Vaud et Genève. Je pense qu’il est important que l’on puisse trouver ensemble des synergies, notamment dans un domaine où l’on a plutôt peu d’étudiants.

Mais une faculté, ce n’est pas qu’un enseignement, ce sont aussi des travaux de recherche et d’analyse. Ne craignez-vous pas de perdre cette expertise sur un sujet sensible dans notre société?

Mais on ne la perd pas cette expertise! Elle reste organisée sur la Suisse romande. Très clairement, on est dans un territoire où l’on a une densité forte de facultés de théologie. Il y a des facultés sur Vaud et Genève. Sur Fribourg aussi, en ce qui concerne la théologie catholique. Donc clairement on n’abandonne rien, mais on crée des synergies. Cette mise en commun nous permet d’avoir de vrais experts et de jouer ce rôle d’expertise, sur un domaine bien plus vaste que les seules frontières cantonales.

Avant l’annonce de cette fermeture, il y a eu un certain flou. Cette décision c’est vous qui l’avez prise, est-ce une patate chaude que vous a légué votre prédécesseur, ou est-ce une décision du rectorat?

Alors c’est une décision qui a été prise durant la législature actuelle. C’est un des objectifs que l’on a inscrits dans le mandat de l’Université pour les quatre ans à venir. Mais c’est une réflexion qui était déjà en cours depuis des années. Je dirais: déjà depuis 2009, quand il y a eu la première discussion sur la convention de collaboration avec le triangle d’Azur (NDLR: Accords entre les Universités de Genève Lausanne et Neuchâtel). Je pense que c’est un processus qui a permis de faire le point: de peser le pour et le contre; mais aussi d’avancer de manière concertée. Et cette fermeture s’inscrit aussi dans un contexte où plusieurs professeurs arrivaient à la retraite, ce qui permettait de réfléchir à une organisation un peu différente.

Votre canton est très laïc. La fermeture de la faculté de théologie n’est-elle pas liée à un présupposé religieux qui entoure cet enseignement?

Ah pas du tout alors, je dirais même: bien au contraire! Le canton de Neuchâtel est effectivement, avec le Canton de Genève, l’un des deux cantons qui ont une séparation très claire entre l’Eglise et l’Etat. Et je pense que cette position-là nous renforce plutôt dans le débat religieux, dans le débat qui doit avoir lieu aussi à d’autres niveaux. On a très clairement la volonté du débat entre religions aussi dans notre programme scolaire, avec l’inscription de la connaissance des différentes religions au programme d’histoire. Cela permet de cultiver cet esprit de terre d’accueil qui anime la Canton de Neuchâtel. Cela permet aussi le vivre ensemble de personnes qui ont des croyances différentes. Il me semble donc important d’insister sur le fait que même sans faculté de théologie, les efforts continuent d’être faits pour mener ce débat. Etre un canton laïc nous permet d’inscrire ce débat dans une ouverture et dans une disponibilité à l’accueil de l’autre avec ses différences. Je pense que c’est un enrichissement de pouvoir inscrire ce débat dans la sérénité, et la société d’aujourd’hui en a plus besoin que jamais.

Comment imaginez-vous l’Université de Neuchâtel dans 15 ans?

L’Université est en pleine mutation. Mais cela s’inscrit dans une mutation beaucoup plus large. Une nouvelle loi sur les hautes écoles vient d’être adoptée par le Parlement et les hautes écoles doivent maintenant s’inscrire dans ce périmètre. La réflexion est plus que jamais ouverte pour décrire les contours de l’université et des hautes écoles qui se trouvent sur le territoire cantonal, voire intercantonal –car je pense que sur ces questions-là, il faut réfléchir au niveau romand. Je pense que le rôle de l’Université va changer; doit changer. On doit avoir un regard plus ouvert et plus complémentaire avec l’ensemble des hautes écoles.

Après la Faculté de théologie, c’est l’Université qui pourrait fermer?

Non! Il n’est plus à démontrer ce qu’une université peut apporter à un canton. Néanmoins, c’est vrai qu’avec un peu plus 4500 étudiants, nous sommes certainement la plus petite des universités, pas seulement en Suisse, mais aussi en Europe. Nous pouvons donc avoir des pôles de compétences, mais nous ne pouvons pas tout faire. Mais nous pouvons être des experts dans différents pôles et c’est justement vers l’excellence dans certains domaines que l’Université évolue.

Une université unique qui regrouperait sous une même direction les différentes universités romandes, ne serait-elle pas beaucoup plus forte sur la scène internationale?

Certainement, mais on perdrait de la proximité, et ce qu’il y a de spécifique à chaque université. Je pense qu’être différent est aussi un enrichissement. On s’appauvrit quand on est tous similaires. Il faut donc emprunter le chemin étroit entre autonomie et mises en synergies. De cette manière, on pourra exister sur un territoire beaucoup plus grand que juste la Romandie ou la Suisse. C’est vrai que les programmes de recherches se font aujourd’hui au niveau européen ou international: c’est aussi la preuve que le monde des hautes écoles a profondément changé cette dernière décennie.

Le fait religieux n’a pas complètement disparu de l’Université de Neuchâtel. La faculté des lettres et sciences humaines garde une chaire de culture chrétienne. Est-ce que cela va être développé? Est-ce que des finances sont prévues pour élargir cette offre?

Le financement des chaires ou facultés est de la compétence du rectorat. La vision de l’université de demain est décrite par le rectorat. Elle s’inscrit, bien sûr dans une enveloppe qui est allouée par le Canton. L’enveloppe de l’Université n’est pas extensible, et c’est au sein de l’Université que les différentes priorités doivent être posées. Néanmoins, il y a clairement une volonté de faire perdurer cet enseignement et ne pas faire disparaître le débat religieux du «territoire» universitaire. Le fait religieux est une spécificité du Canton et de l’Université et c’est bien pour cela qu’elle maintient un enseignement, même s’il est restreint. Mais, évidemment que cela s’inscrit aussi dans une politique de rationalisation et d’optimisation des finances à disposition.