Expérience d’une fermeture de faculté et réflexion théologique

Expérience d’une fermeture de faculté et réflexion théologique

Protestinfo donne régulièrement carte blanche à une personnalité réformée.

Félix Moser, doyen de la Faculté de théologie de Neuchâtel revient sur la fermeture de cette institution et rappelle l’importance de son rayonnement

Photo: ©UniNe/Mario Cafiso

La Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel fermera définitivement ses portes le 31 juillet 2015; cela signifie que l’ensemble de la théologie protestante en Suisse passe de six à cinq facultés. Cette fermeture répond à des motifs économiques (les finances du canton nécessitent des économies), et aussi académiques (le taux d’encadrement des étudiants est jugé trop élevé au regard des autres facultés). Le coup est rude au vu de l’histoire de cette faculté, de sa forte implantation dans l’arc jurassien et de son rayonnement en Suisse et ailleurs. Car si elle est petite par sa taille, la Faculté de théologie n’a jamais sombré dans la petitesse.

Ce qui en train de se passer indique que les formes et les moyens par lesquels s’exerce la théologie ne sont pas immuables. La disparition d’un haut lieu théologique n’entraîne pas la suppression du mandat de la faculté (mandat repris à Genève et Lausanne), et la nécessité d’exercer le métier de théologien demeure. Le protestantisme doit rester fidèle à un de ses postulats essentiels: la théologie et son exercice appartiennent à tous, qu’ils se vivent au sein du monde académique, dans le cadre de parcours bibliques par correspondance, dans des centres de formation, dans des communautés monastiques ou dans les paroisses.

L’élaboration théologique est appelée à se poursuivre indépendamment des circonstances. L’héritage neuchâtelois, en particulier les quelque 100’000 ouvrages que compte la bibliothèque des pasteurs et ministres neuchâtelois, ne sera pas bradé. Encore convient-il de le faire fructifier, c’est-à-dire de se projeter vers le futur. Car, comme le dit en substance Woody Allen, «parlons aussi du futur, parce que c’est là, paraît-il, que nous habiterons».

Par rapport à un héritage passé et à un futur qui ne nous appartient pas, nous sommes appelés dans le présent à un commun apprentissage de la confiance en Dieu: l’avenir s’ouvrira. Et c’est précisément sur ce point que nous touchons au cœur de la théologie chrétienne. Celle-ci pense et espère un avenir. A la différence d’un arbre qui a un simple futur et dont la vie est soumise à l’appréciation extérieure du bûcheron, les êtres humains sont dotés d’un bien infiniment fragile, la liberté humaine: nous pouvons infléchir la réalité par nos actes et nos paroles. La théologie, en posant la question de Dieu et de sa transcendance, ne cesse d’interpeler notre société sur l’être humain et sur la manière dont chacune et chacun se comprend et vit dans la société et dans le monde.

La tâche n’est pas aisée en ce début du troisième millénaire, car un clivage s’est instauré entre d’une part le monde de la rationalité et d’autre part celui des croyances, de la foi et des opinions. Le monde de la rationalité est dominé par la technique et par la logique de l’expansion constante, chiffrée et visible. Le monde des croyances et de la foi est relégué dans la sphère privée et laissé, sans discussion aucune, au bon vouloir de chacun et chacune. La théologie, en particulier académique, ambitionne de dépasser ce clivage. Elle articule la foi et la raison. D’une part, elle développe une réflexion où l’argumentation et la mise en place d’évaluation du religieux sont débattues. D’autre part, elle montre la richesse et la fécondité des références qui la fondent: les Ecritures (avec ses récits, paraboles, maximes, prières, etc.) ne cessent de remettre en cause une lecture unidimensionnelle de la réalité.

Par-delà les modes qui, dans leur aspiration à la nouveauté incessante, se démodent, par-delà les tendances et les pensées dominantes, la théologie s’écrit à temps et aussi à contre temps. Voilà une autre manière de penser et de vivre la réalité de la fermeture (manière qui ouvre la lucarne de l’espérance). Cette attitude de confiance ne se décrète pas dogmatiquement, elle requiert un travail personnel, appelant à la dé-maitrise et à l’acceptation de l’incertitude.