L’église Saint-Laurent occupée pour empêcher des renvois vers l’Italie

L’église Saint-Laurent occupée pour empêcher des renvois vers l’Italie

Six requérants d’asile érythréens et éthiopiens dont la Suisse refuse de statuer sur le cas, en application des accords de Dublin et des militants pro-asile, occupent depuis dimanche le temple du centre-ville lausannois. Pour les autorités religieuses, il s’agit d’une instrumentalisation politique.

«Je préfère mourir en Erythrée que vivre en Italie», déclarait lundi devant la presse l’un des six migrants occupant depuis dimanche l’église Saint-Laurent à Lausanne. Ce jeune déserteur risque dans son pays torture, prisons à vie, voire exécution, mais il se déclare davantage traumatisé par le traitement qui lui a été réservé par les services de l’immigration italiens. Or, en vertu des accords de Dublin, c’est vers ce pays que la Suisse veut le renvoyer. En effet, cet accord international prévoit qu’en principe, le pays par lequel un requérant d’asile est entré dans l’Espace Schengen est responsable de statuer sur la demande.

Une autre migrante, en larmes, raconte comment depuis qu’elle est arrivée à Saint-Laurent, elle peut enfin suivre correctement son traitement médical. Dans les abris mis à disposition par les autorités elle n’avait pas accès à la nourriture dont une prise conjointe est nécessaire à son médicament. Présentée comme traumatisée par le collectif qui accompagne les occupants de l’église, elle est menacée de renvoi vers un pays européen, sans que son cas n’ait été examiné sur le fond par les autorités suisses.

Des situations emblématiques

Pour le collectif, les cas des personnes occupant Saint-Laurent sont emblématiques des situations vécues actuellement en Suisse par les migrants. Le mouvement demande un moratoire sur le renvoi de personnes vers l’Italie et un moratoire des personnes ayant des problèmes de santé physique ou psychique. «La Suisse doit traiter elle-même les demandes d’asile de ces gens», estime Jean-Michel Dolivo, membre du collectif de soutien, avocat et député au Grand Conseil vaudois. «Les Etats ont la possibilité de le faire en vertu des accords de Dublin, mais ils n’y ont jamais recours.»

«L’ouverture de ce refuge correspond à un état de nécessité. Cela correspond à une prise de mesures conservatoires, pour assurer la sécurité de ces personnes», explique Jean-Michel Dolivo. «L’ouverture de ce refuge est un cri d’indignation. Les autorités ont le devoir moral, politique et humain de défendre ces personnes». Pour l’avocat, le refuge dans une église offre une certaine sécurité aux occupants. Il n’imagine pas concevable que les autorités communales, propriétaires des lieux, cantonales ou ecclésiales soient prêtes à demander une évacuation de force.

Gouvernement interpellé

Le Conseil d’Etat vaudois a été interpellé sur cette situation. «Une demande d’entrevue a été envoyée lundi matin», précise Michaël Rodriguez, membre du collectif. Alors qu’Anne-Catherine Menetrey Savary, ancienne conseillère nationale, se réjouit de l’existence de longue date d’un mouvement de désobéissance civique dans le canton de Vaud. «On a parfois l’impression que malgré le temps qui passe la situation des migrants ne s’améliore pas. Mais je pense que sans ces militants, elle serait encore pire. Regardez ce qui se passe dans d’autres cantons!»

L’Italie, point d’entrée de nombreux migrants sur le territoire européen n’a pas les infrastructures nécessaires pour les accueillir correctement et traiter convenablement leur demande d’asile. «Alors que tout le monde s’émeut lorsque des embarcations de fortune, chargées de migrants, coule au large de Lampedusa, ceux qui parviennent à faire le voyage devraient-ils s’excuser d’être encore en vie?», tempête Graziella de Coulon, militante de longue date de la cause des migrants.

Eglises incapables de répondre aux demandes

Des demandes régulières ont été faites aux autorités des Eglises réformées et catholiques pour trouver un lieu pour établir ce refuge, explique Graziella de Coulon. Mais elles se sont avouées incapables de trouver une paroisse prête à les accueillir. Raison pour laquelle une occupation spontanée a été décidée. Ainsi dimanche, les militants et les migrants sont arrivés pour prendre possession du temple en fin de culte dominical. «C’était assez étonnant, raconte un paroissien, on venait de prier pour les migrants quand ils sont entrés avec leurs matelas. C’était, en fait assez désagréable de les voir arriver avec leurs revendications politiques sans beaucoup de respect pour le moment que nous étions en train de vivre.»

Une fois les esprits calmés, les relations avec le lieu phare Saint-Laurent Eglise, qui occupe le bâtiment le dimanche, se sont plutôt bien passées et les migrants ont même aidé à la mise en place des lieux pour un concert prévu l’après-midi.» Le pasteur Jean Chollet qui officiait ce dimanche raconte: «Je leur ai dit que ce n’était pas des façons de procéder. Surtout pas à Saint-Laurent Eglise qui est une communauté ouverte et qui aurait certainement été prête à les accueillir». Mais philosophe, il conclut: «moi qui suis un habitué des coups d’éclat, je suis mal placé pour me plaindre quand à mon tour j’en fais l’objet!»

Instrumentalisation politique

«Je ne vais pas nier que des négociations étaient en cours et que les Eglises cherchent des solutions pour organiser un refuge peut-être un peu plus durable», reconnaît Xavier Paillard, président du Conseil synodal, l’exécutif de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. «Mais c’est vrai aussi que toutes les paroisses n’ont pas eu de bonnes expériences avec ce collectif.»

L’Eglise est également très active sur les questions d’asile au travers de diverses aumôneries, du Centre social protestant ou du Service d’aide juridique aux exilés de l’Entraide protestante (EPER), rappelle Xavier Paillard. «Mais nous avons toujours dit que nous voulions prendre en compte des situations personnelles. Or ce qui se passe à Saint-Laurent est une démarche politique qui instrumentalise un petit groupe de migrants.» Xavier Paillard explique d’ailleurs que «nous avions une solution qui se dessinait en dehors de l’agglomération lausannoise, mais le collectif a refusé, car c’était trop compliqué et que cela manquait d’impact médiatique.» Xavier Paillard conclut: «les Eglises contestent les exigences et les méthodes du collectif en matière de refuge, mais travaillent également à la protection des personnes.»