Faire progresser la science en apprenant

Faire progresser la science en apprenant

Apprendre l’hébreu biblique est une chose, mais entretenir et approfondir ses compétences après ses études est un tout autre défi. L’Institut Dominique Barthélémy de Fribourg propose une démarche innovante pour motiver les hébraïsants et faire avancer la recherche par la même occasion: participer à l’édition inédite du manuscrit du Pentateuque Samaritain de Fribourg.

Photo: CC(by-sa) Steffen Banhardt
Par Elisabeth Schenker

C’est une démarche «gagnant-gagnant» que propose l’Institut Dominique Barthélémy pour l’histoire du texte et de l’exégèse de l’Ancien Testament à l’Université de Fribourg. Grâce à un travail participatif, un manuscrit du Pentateuque Samaritain datant du XVe siècle, qui dort depuis 10 ans dans la bibliothèque de l’Institut, va pouvoir être étudié en vue de son édition. En contrepartie, les passionnés du texte bibliques qui participeront à ce projet pourront progresser dans leur maîtrise de l’hébreu biblique.

Ce projet a été lancé par le professeur Innocent Himbaza, docteur en théologie et pasteur, privat-docent à l’Université de Fribourg est curateur de l’Institut Dominique Barthélémy. Professeur d’hébreu et spécialiste de l’histoire de la réception des textes de l’Ancien Testament, il a édité le livre du Lévitique dans le projet de la Biblia hebraica quinta (BHQ: voir encadré). La rencontre de lancement aura lieu jeudi 27 novembre, à 15h15. (salle 3027, à l’Université de Fribourg, avenue de l’Europe 20)

L’idée? «Soutenir toutes les personnes désireuses de continuer à travailler leur hébreu biblique en leur donnant un but», explique le professeur Innocent Himbaza. Et ce but n’est rien de moins que l’édition à terme de ce manuscrit encore inconnu, dont on sait grâce aux recherches déjà effectuées qu’il contient le Pentateuque samaritain, c’est-à-dire l’équivalent des cinq livres qui constituent la première partie de la Bible hébraïque (les cinq premiers livres de l’Ancien Testament des traditions chrétiennes), avec des variantes spécifiques à la tradition samaritaine.

Un travail à son rythme

Ce sont d’abord leurs yeux que les étudiants et les personnes intéressées vont devoir exercer. Le manuscrit est en effet écrit en paléohébreu, alors que les étudiants qui ont un niveau dit «avancé» en hébreu biblique ont appris à lire des lettres carrées. Une difficulté vite surmontée, selon le professeur d’hébreu. Ensuite, leur travail consistera à comparer minutieusement le manuscrit avec le texte établi que l’on trouve dans la Biblia Hebraica Stuttgartensia (BHS: voir encadré), ainsi qu’avec le texte d’un autre manuscrit samaritain, le manuscrit 6 de Sichem.

Après le gros du travail accompli chez soi, les participants se retrouveront pour des réunions de mise en commun. Le professeur Innocent Himbaza répondra alors à toutes leurs questions, permettant de fait aux participants d’approfondir leurs connaissances, puis les résultats seront collectés. Un vrai travail de recherche, qui consiste à répertorier et à essayer de comprendre toutes les variations, jusqu’à la moindre lettre qui diffère. «Des différences, il y en a, et c’est très stimulant!», explique le professeur. L’un des enjeux de tout ce travail, dit-il, est «de déterminer quelle est la valeur textuelle de ce manuscrit».

Une richesse encore méconnue, même des spécialistes

Grâce à la Bibliothèque de l’Institut Dominique Bathélémy, se trouve rassemblé à Fribourg un fonds «exceptionnellement riche dans le domaine des textes de la Bible», peut-on lire sur le site de l’Institut. D’abord rassemblée par le professeur Dominique Barthélémy, puis par le professeur Adrian Schenker, directeur de l’Institut, cette riche collection a été complétée par «une bibliothèque scientifique composée d’éditions bibliques anciennes et d’ouvrages à la pointe de la recherche la plus récente». Le tout est mis à disposition de l’Institut par les frères dominicains.

Mais la recherche a un prix, rappelle le professeur Innocent Himbaza, «et nous sommes souvent limités par nos moyens financiers». Si l’Institut fait appel aujourd’hui à des passionnés du texte et de l’apprentissage de l’hébreu biblique, «nous avons aussi besoin de mécènes», explique-t-il.

La Bible hébraïque

La Bible hébraïque ou Ancien Testament est une collection de nombreux textes retrouvés dans une multitude de manuscrits collectés par les chercheurs au fil des siècles. La Biblia Hebraica Stuttgartensia (BHS) est une édition du texte dit massorétique (établi par les massorètes, des érudits médiévaux), tel qu’il est préservé dans le Codex dit de Léningrad, enrichi de nombreuses notes. Publiée par la société biblique allemande à Stuttgart, la BHS est considérée tant par les chrétiens que par les juifs comme une édition extrêmement fiable des Ecritures hébraïques. Elle est accompagnée d’un texte critique extrêmement précis. C’est actuellement la version la plus diffusée de l’Ancien Testament.

La recherche en sciences biblique a beaucoup bougé ces 50 dernières années, et le projet d’une nouvelle édition, plus complète, collectant plus de données et faisant droit à toutes les avancées de la recherche, a vu le jour. La Biblia hebraica quinta (BHQ) est édition critique nouvelle déjà en cours, qui a vu le jour en 1989 et qui se poursuit. Le professeur Adrian Schenker, dominicain, professeur émérite de l’Université de Fribourg, est le président de son comité d’édition.

Pour en savoir plus: «L’enfance de la Bible hébraïque: Histoire du texte de l’Ancien Testament», sous la direction d’Adrian Schenker et Philippe Hugo, paru chez Labor et Fides en 2005.