Simon Butticaz: «Je me suis toujours situé à l’interface de la théorie et de la pratique»

Simon Butticaz: «Je me suis toujours situé à l’interface de la théorie et de la pratique»

A l’âge de 33 ans, le théologien Simon Butticaz a été nommé professeur assistant à la faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne. Depuis la rentrée, il enseigne le Nouveau Testament et les traditions chrétiennes anciennes. Rencontre avec ce pasteur de formation, passionné par la littérature paulinienne.

Photo: Simon Butticaz © Felix Imhof

Votre nomination comme professeur assistant, après avoir travaillé comme pasteur ainsi qu’à la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, révèle-t-elle un changement de cap dans votre parcours professionnel?

Non, je me suis toujours situé à l’interface de la théorie et de la pratique en pensant que leur interaction était fructueuse. Puis, j’ai dû faire un choix. Je n’ai pas vécu, tout d’un coup, une réorientation ou une rupture. Au contraire, il y a toujours eu chez moi une passion pour le Nouveau Testament et un vif intérêt pour la recherche et l’enseignement. Quand j’étais assistant diplômé, je faisais mon stage pastoral en parallèle. Puis, j’ai été chargé d’enseignement à l’université alors que je travaillais comme pasteur en paroisse. Cette double activité professionnelle m’a justement permis de faire dialoguer théorie et pratique.

Comment pensez-vous valoriser votre expérience d’homme d’Eglise dans votre nouveau poste?

La théologie, comme n’importe quelle discipline universitaire, ne peut pas se cloisonner dans une tour d’ivoire. La mission de l’Université repose sur trois piliers principaux: la recherche, la formation et le service à la cité. Intervenir dans les milieux ecclésiaux et offrir une expertise aux Eglises fait donc partie intégrante de mon mandat de théologien et d’exégète. Le dialogue avec la société civile est nécessaire. Il peut être empathique, mais aussi critique et dans ce sens-là nous sommes utiles pour la société et plus particulièrement pour les institutions religieuses.

Souhaitez-vous former des pasteurs ou des académiciens?

Je participe à la formation de théologiens. Et plus largement, mes enseignements s’inscrivent dans les cursus de théologie et de sciences des religions. Ainsi, je participe à la formation de personnes qui sont capables à la fois de connaître la tradition religieuse judéo-chrétienne et de la relire d’un point de vue réflexif et critique.

Dans un second temps et pour ceux qui le souhaitent, une formation pratique est offerte en Eglise, aux diplômés en théologie, dans le cadre de l’Office protestant de la formation. Il faut évidemment articuler ces deux formations, mais je pense qu’il y a vraiment une distinction à faire. Nous formons des théologiens et la formation pastorale est, proprement dite, prise en charge par les Eglises.

Avec l’importance qu’ont prise les sciences des religions, les relations entre la théologie et les Eglises se sont distendues, comment pensez-vous y remédier?

Notre horizon, c’est la société, en particulier le canton de Vaud. Nous sommes au service de la collectivité et dans ce cadre-là, nous devons participer à la formation critique des citoyens que ce soit sous la forme d’un cursus classique ou sous la forme d’offres de formation continue ou grand public. Par exemple, en organisant un cours public à l’université ou des conférences dans des sessions bibliques organisées par l’Eglise ou encore des interventions en paroisse.

De plus, la faculté mandate des représentants du corps professoral dans différentes institutions. En particulier, elle désigne trois professeurs qui siègent au Synode de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV): Pierre-Yves Brandt, Thomas Römer et moi-même pour la législature en cours. D’autre part, une nouvelle forme de collaboration vient de se mettre en place avec l’Institut de théologie et d’éthique de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (Feps) qui a sollicité différentes facultés de théologie en Suisse pour mandater un professeur qui siègera dans ce comité d’expert.

Fin octobre, un petit livre de vulgarisation scientifique sur Paul, dont je suis l’auteur, va paraître aux Editions Cabédita. Il s’intitule «Pâques, et après? Paul et l’espérance chrétienne» et consiste au déploiement d’un discours sur l’espérance à partir d’une lecture de Paul. Cet ouvrage est destiné au grand public. Il articule une exégèse rigoureuse avec une parole pour aujourd’hui, faisant dialoguer Bible et actualité. Ce genre de publication permet de diffuser, le plus largement possible, les résultats les plus sérieux et les plus récents de la recherche académique.

Trois axes de recherches

Quels sont les thèmes de recherches que vous souhaitez concrétiser grâce à votre nouvelle fonction?

Simon Butticaz: Trois principaux champs de recherches m’ont accompagné ces dernières années. Le premier est une enquête sur la manière dont l’identité des premiers chrétiens s’est construite; non seulement en dialogue à l’interne entre les différentes communautés et courants du premier christianisme, mais aussi avec les mondes environnants que ce soit le judaïsme du second Temple ou l’univers gréco-romain.

Je m’intéresse tout particulièrement à cette problématique dans la littérature paulinienne. Dans la mesure où le modèle de compréhension des lettres de Paul a fortement évolué depuis une génération. Notre connaissance du judaïsme du second Temple s’est en effet modifiée, notamment, grâce à la valorisation des écrits de Qumrân. Ils ont permis de reconsidérer les interlocuteurs que Paul rencontre dans son argumentation. Traditionnellement, dans une veine fortement inspirée par le luthéranisme, on considérait que le judaïsme, critiqué et débattu par Paul, était un judaïsme légaliste et particulariste. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est une vision caricaturale, qui ne colle pas à la réalité du judaïsme du second Temple et qui ne correspond pas à la perception que Paul a de ce judaïsme.

Cette découverte a des répercussions sur la manière dont Paul conçoit lui-même son identité. Alors qu’on accentuait beaucoup la discontinuité, en disant que l’identité que l’apôtre promeut est une identité radicalement nouvelle, on redécouvre aujourd’hui des affinités fortes qui rattachent Paul, sa pensée et son histoire, au judaïsme du second Temple. Donc celui qui était tenu pour être l’inventeur du christianisme est aujourd’hui considéré comme un penseur juif du Ier siècle, iconoclaste ou radical sur certains points, mais aux fortes attaches culturelles et théologiques le reliant aux autres juifs du Ier siècle. Cette recherche est fortement engagée dans le monde anglo-saxon et le débat se situe au niveau international.

Mon deuxième axe de recherche concerne les stratégies de communication aux origines du christianisme. Pendant très longtemps, on a appliqué sur le Nouveau Testament un modèle de communication hérité de Gutenberg, jugeant qu’on avait affaire à une littérature écrite et coulée dans des caractères immuables.

Or aujourd’hui, on se rend compte que la communication au Ier siècle était largement dominée par l’oralité. Ainsi, les écrits qui circulaient dans le microcosme chrétien et qui vont acquérir avec le temps le statut d’écrits normatifs, étaient un élément mineur, voire marginal d’une communication largement orale.

Cela a des incidences sur la manière dont on appréhende ces textes, car ils étaient inscrits dans d’un processus de communication qui transitait par l’oral, depuis la fabrication jusqu’à la réception. Notamment les lettres de Paul: elles n’étaient pas méditées silencieusement, chacun pour-soi à sa table de bureau, mais elles étaient lues communautairement, à voix haute et discutées. Un messager, souvent un collaborateur de Paul, se faisait le porte-parole et aussi l’interprète des lettres, car indubitablement elles suscitaient des réactions dans l’auditoire. Il nous faut, ainsi, renoncer à l’illusion de pouvoir retrouver les « originaux ». Ce qui m’intéresse particulièrement est de savoir comment Paul programmait, dans son texte, par différents marqueurs textuels, cette performance orale censée exercer un effet de sens précis.

Quant à mon troisième axe de recherche, il consiste en la publication d’un manuel d’introduction à l’exégèse du Nouveau Testament. Avec d’autres biblistes francophones, nous allons travailler à la rédaction d’un guide qui soit utile en particulier aux étudiants et à tous les exégètes en herbe. Il en existe déjà l’un ou l’autre en français mais ils ne sont pas récents. Et je pense qu’il est important d’avoir ce genre d’ouvrage qui présente de manière pédagogique et sous la forme d’un manuel les outils nécessaires à l’exégèse.

Biographie express

  • 1980: naissance à Lausanne
  • 2009: doctorat en théologie à l’Université de Lausanne (Unil)
  • 2009-2012: pasteur dans la paroisse de Chavornay (VD)
  • 2010: professeur assistant suppléant à l’Unil
  • 2011-2014: chargé de cours à l’Université de Genève
  • 2012: chargé d’enseignement à l’Université catholique de Lyon
  • 2012-2014 : responsable des relations avec les Eglises, à la Feps
  • 2014: professeur assistant en PTC à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Unil