L’armée cherche des aumôniers

L’armée cherche des aumôniers

Pour assurer l’accompagnement spirituel des jeunes recrues, l’Armée suisse appelle les Eglises à se mobiliser. L’aumônerie est l’un des services auxiliaires de l’armée, mais il n’est pas un service accessoire. Au contraire. Cependant, la réforme de l’armée en 2003, les études de théologie longues, la méconnaissance de ce ministère spécialisé qu’est l’aumônerie en milieu militaire, sont les causes de la dramatique diminution du nombre des aumôniers.

Photo: Les capitaines aumôniers Noël Pedreira et Jean-Marc Savary

«On recherche des hommes et des femmes prêts à apporter une assistance spirituelle au sein de l’armée», annonçait clairement l’invitation à la journée d’information qui s’est déroulée le lundi 8 septembre, entre lac et montagnes, à l’Ecole des missions du Bouveret. 18 ministres ont répondu à cette invitation et ont pu passer une journée avec les 16 hommes se préparent à la pratique de l’assistance spirituelle dans le cadre particulier de l’Armée suisse. Leur formation a débuté le 1er septembre et dure 19 jours alternant les parties théoriques et pratiques dans un esprit œcuménique.

A l’heure actuelle, l’aumônerie de l’armée ne compte qu’une seule femme: aumônière de milice, comme ses collègues masculins, cette pasteure de Bienne exerce son ministère par vocation. «Le service militaire vous rend plus souple et plus spontané», explique-t-elle en rajoutant: «dans ce monde très masculin, être un petit peu différent est un avantage» plutôt qu’un empêchement.

«L’armée est une chance pour les églises et les Eglises, une chance pour l’armée», qui se doit légalement d’assurer à ses membres conseil et assistance, tant sur le plan médical, spirituel, psychologique que social, explique le chef de l’aumônerie de l’armée Stephan Junger.

Dans ce cadre, il rappelle que la mission de l’aumônier est «de prendre en charge ou de faciliter l’assistance de tous les militaires même s’ils ne sont pas de son Eglise». De plus, «l’aumônier est confronté à tout l’éventail de la société suisse», rappelle-t-il, et «il lui est donné aussi l’occasion de nouer des contacts dans toute la Suisse, de vivre des expériences diversifiées selon ses compétences propres», ce qui est une chance unique pour eux-mêmes, mais aussi pour leur ministère; car même si les aumôniers ne font en aucun cas du prosélytisme, ils touchent l’ensemble de la population.

Un milieu où les questions existentielles se posent

«C’est un ministère d’aumônerie spécialisé comme un autre, dans un milieu où les questions existentielles se posent encore plus qu’ailleurs», précise le capitaine aumônier Urs Brosi. En effet, les jeunes recrues se retrouvent loin de leur domicile, à un âge charnière, dans un environnement nouveau, et vivent pour la plupart leur première expérience de vie en groupe hiérarchisé, avec des contraintes extérieures importantes; et ce même si les conditions des cours de répétitions sont bien meilleures qu’avant. Pour Noël Pedreira l’accompagnement et l’écoute sont au cœur de ce ministère: «il s’agit d’offrir un soutien spirituel à tous les militaires, qu’ils aient une religion ou pas; de leur offrir une écoute entière, non jugeante, et centrée sur la personne. De faire le point aussi sur ce qu’ils vivent de déstabilisant, et susciter en chacun les forces vives qui sont en lui, et lui permettre d’aller plus loin».

Opposer Eglise et armée

«Vous ne devriez pas en tant qu’homme d’Eglise porter l’uniforme et être dans l’armée!» C’est l’une des interpellations que les jeunes recrues nous renvoient souvent, observe Jean-Marc Savary, aumônier de milice en plus de son engagement à de multiples niveaux dans l’Eglise réformée du canton de Vaud (EERV). Et en effet, l’un des clichés qui revient souvent tend à opposer Eglise et armée: sont-elles vraiment deux mondes antinomiques? A cela, le pasteur répond: «lorsque je mets mon uniforme, j’accomplis là l’essentiel de ce qui est mon ministère: aimer et servir les êtres humains que nous rencontrons».

Mais les participants à cette journée d’informations ont aussi eu l’occasion de poser des questions plus pragmatiques telles que la charge de travail que représente ce ministère. Jean-Marc Savary répond y franchement: «L’aumônerie militaire est toujours un engagement supplémentaire, mais il est vraiment utile» et s’il avoue volontiers qu’il n’y a «pas de recette pour maintenir l’équilibre entre ministère civil et ministère militaire», il souligne toutefois que «c’est une erreur que d’opposer ministère civil et ministère militaire, car il y a une réelle complémentarité entre les deux». En effet, précise-t-il, «l’armée offre un lieu unique de témoignage de la foi. C’est un espace de souffle ministériel qui nous allège la tête et le cœur: le ministère militaire permet de rester ouverts à la réalité du monde du XXIe siècle. On y rencontre des jeunes qu’on ne rencontre jamais dans nos églises. L’Eglise, elle, offre des gens formés au métier d’humanité. Nous apportons une capacité d’amour dans l’accompagnement de l’humain».

«L’aumônier militaire, en tant que capitaine, a-t-il suffisamment de liberté pour pouvoir exercer son ministère selon sa conscience?» lance un participant… «Oui, les aumôniers ont une très grande liberté d’action et d’organisation» répond Noël Pedreira, de plus, leur grade leur permet de s’adresser directement aux commandants de corps. Le secret pastoral est totalement préservé, et les jeunes peuvent s’adresser directement à eux sans faire de demande préalable. Pour ceux qui douteraient encore de l’utilité de ce ministère d’accompagnement et d’écoute, Jean-Marc Savary conclut: «Quand pour la première fois de sa vie, en face de moi, un jeune se rend compte qu’il est important pour quelqu’un, et que je suis là pour l’écouter, ça change tout».

Premiers aumôniers catholiques chrétiens

Pour la première fois cette année, deux aumôniers catholiques-chrétiens ont pu prendre part au stage de formation A pour aumôniers de l’armée. Sur les 16 nouveaux aumôniers cette année, 10 sont catholiques, 3 protestants réformés et un méthodiste. Mais qu’importe, affirme Stephan Junger, à l’aumônerie de l’armée, «rien ne nous différencie, la croix sur le col de notre uniforme est la même». Dans cette volée, quatre seulement sont francophones.

Pas de diacres protestants à l’aumônerie de l’armée

Les conditions pour devenir aumônier ont été simplifiées par l’armée. Pour pouvoir intégrer l’aumônerie de milice, il faut être de nationalité suisse, au bénéfice d’une formation théologique et pratique. Il faut nécessairement être recommandé par l’une des trois Eglises traditionnelles du pays, et si l’on n’a pas accompli l’école de recrue, suivre une formation militaire raccourcie à 19 jours.

Si les églises catholiques recommandent volontiers des assistants pastoraux, du côté protestant cela ne se fait pas. Malgré les besoins urgents de l’aumônerie militaire, il semble que les diacres ne soient pas autorisés à devenir aumôniers au même titre que les pasteurs. «Il faut demander à vos églises» stipule Stephan Junger, ce sont elles qui décident, car leur recommandation est un préalable à l’acceptation des candidatures.

C’est à la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS) qu’il convient d’en référer, déclare le capitaine aumônier Nicolas Besson, qui assure dans le civil la charge de la direction des ressources humaines de l’EERV. Mais, contactée par Protestinfo, la FEPS renvoie la balle aux Eglises cantonales.

Les deux diacres présents à la journée d’information, un homme et une femme qui ont tous deux accompli leurs obligations militaires sont repartis deçus.

Quelques chiffres

  • Le service auxiliaire de l’aumônerie de l’armée a été créé en 1907 avec l’introduction de l’Organisation militaire (l’actuelle loi sur l’armée: LAAM).
  • 300 postes d’aumôniers de milice sont prévus dans les effectifs. En 2013, on ne comptait que 218 aumôniers.
  • Les effectifs pour les aumôniers professionnels: 200%

La population dont ils ont la charge:

  • Chaque année, trois écoles de recrues sont organisées, recevant chacune autour de 7000 jeunes
  • En 2013, 20 235 jeunes recrues ont été incorporées!
  • Toujours en 2013, l’Armée suisse comptait 184 244 militaires

source: admin.ch