«Pas de séparation entre l’idée de la foi chrétienne et un combat quotidien pour une justice sociale»

«Pas de séparation entre l’idée de la foi chrétienne et un combat quotidien pour une justice sociale»

La théologienne neuchâteloise Muriel Schmid, professeure de sciences des religions à l’Université d’Utah depuis dix ans, change de cap. Nommée directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix à Chicago, elle retourne sur le terrain, dès le mois d’août. Rencontre.

Photo: La théologienne Muriel Schmid

Pourquoi avez-vous décidé de quitter le milieu académique?

Plusieurs facteurs sont entrés en ligne de compte: une espèce de saturation du milieu universitaire et en même temps, le côté ministériel me manquait. J’ai une double formation de pasteure et de théologienne. J’enseigne à temps partiel à l’Université de l’Utah et j’ai essayé de travailler sur le terrain parallèlement, mais après quatre ans, je me suis rendu compte que c’était très difficile de mener les deux activités.

J’avais, par exemple, rejoint le programme du Conseil œcuménique des Eglises (COE) en Palestine-Israël et je suis partie avec les Equipes chrétiennes pour la paix (Christian peacemaker teams, CPT) l’année dernière, au Kurdistan. Si j’ai fait la formation avec le CPT, c’était dans l’idée de mener les deux choses de front: mon travail à l’Université et un engagement sur le terrain. Mais ce n’est pas aussi facile que je le croyais, principalement à cause du fonctionnement du système de reconnaissance académique américain.

Aux Etats-Unis, le système de nomination est très long et nous sommes essentiellement jugés par rapport aux publications dites-scientifiques. Même la qualité de l’enseignement ou les services rendus à l’Université sont secondaires. Ce système ne permet pas un engagement social et humanitaire sans perdre des points au niveau académique.

Qu’est-ce que vous allez faire concrètement en tant que directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix?

La grande partie de mon travail va être la supervision administrative des projets de terrain ce qui impliquera entre autres des visites aux équipes dans les différentes zones de conflits. Le CPT souhaite également cultiver ses liens avec les membres européens et cela me permettra sans doute de passer du temps en Europe pour rencontrer et collaborer avec ces membres.

Pourquoi avoir choisi les Equipes chrétiennes pour la paix?

Pour moi, le fonctionnement des Equipes chrétiennes pour la paix est le plus proche de ce que je comprends de la foi, comme évangile politique. Deux modèles théologiques m’inspirent principalement: celui de la libération, dont les buts sont d’interpréter les textes et d’avoir un effet libérateur sur la réalité. Et celui des quakers où finalement il n’y a pas de séparation entre l’idée de la foi chrétienne et un combat quotidien pour une justice sociale. Dans ce sens-là, le CPT se base sur ce principe de vivre jusqu’au bout la dimension libératrice de l’Evangile.

J’ai choisi une organisation qui remet en question le modèle colonial, y compris le modèle classique du travail missionnaire, et dont le travail se situe systématiquement dans ce questionnement.

Comment les Equipes chrétiennes pour la paix sont-elles perçues aux Etats-Unis?

Ce n’est pas toujours aisé car le CPT a un discours qui attaque systématiquement l’impérialisme américain, le capitalisme, le racisme aux Etats-Unis, le système carcéral… Tous les membres du CPT sont actifs dans leur propre communauté. Où qu’ils soient, une lutte doit être engagée, autant aux Etats-Unis que dans les pays en conflits.

Dans le cadre de la formation que j’ai faite avec les Equipes chrétiennes pour la paix, une question revient systématiquement: Que faites-vous si vous êtes arrêtés? Si vous êtes emprisonnés? Quels sont vos choix? Par leurs messages et leur présence, les Equipes chrétiennes pour la paix courent toujours le risque d’être arrêtées et d’être emprisonnées, cela fait partie de leur réalité.

Les mennonites sont à l’origine du CPT, beaucoup d’entre eux ont été chassés de Suisse, pendant la Réforme.

Oui, c’est à travers la communauté mennonite de Chicago que je rencontre le plus de personnes avec des racines suisses, dont les ancêtres se sont fait persécuter et ont dû fuir la Suisse. C’est une espèce d’aboutissement d’être ici, aux Etats-Unis, et de me retrouver avec des gens qui ont été exclus du mouvement de la Réforme en Suisse, parce qu’ils étaient déjà radicaux à ce moment-là.

Pourquoi être partie travailler aux Etats-Unis?

Plusieurs facteurs m’ont amenée à rester aux Etats-Unis. Alors que je finissais ma thèse de doctorat à l’Université de Neuchâtel, j’ai eu l’occasion de faire un échange avec le séminaire de Princeton où j’ai rencontré ma partenaire. Elle a ensuite été engagée à l’Université d’Utah où j’ai également trouvé un poste quelques années plus tard.

La mentalité et l’ouverture du milieu universitaire ont également joué un rôle important. Certaines recherches et discussions sont nettement plus poussées aux Etats-Unis que dans le milieu francophone. Par exemple, toutes les questions sur le post-colonialisme et ses effets, le féminisme, les études genres, etc.

Dans ce sens-là, travailler aujourd’hui pour les Equipes chrétiennes pour la paix est le résultat somme toute logique de ma présence aux Etats-Unis; la combinaison unique d’un discours social critique et d’individus politiquement engagés au nom même de leur foi chrétienne et de leurs racines anabaptistes.

Les Equipes chrétiennes pour la paix

Les Equipes chrétiennes pour la paix sont une organisation internationale pacifiste qui agit avec des équipes sur le terrain dans des zones de conflit, en prônant la non-violence. Le CPT comprend une trentaine de collaborateurs à plein temps qui travaillent entre autres en Colombie, en Palestine ou au Kurdistan. Les équipes sont soutenues par plus de 150 bénévoles qui passent plusieurs semaines par années sur le terrain.

Dans les zones de conflit, les équipes travaillent en partenariat avec des organisations locales. Bien que le CPT soit une organisation chrétienne, il ne s’engage pas dans des activités missionnaires. Créée en 1988, les Equipes chrétiennes pour la paix sont actuellement soutenues par la Mennonite Church USA (l’Eglise mennonite des Etats-Unis), la Mennonite Church Canada (L’Eglise mennonite du Canada), la Church of the Brethren et la Friends united meeting, une association de quakers.