Pain pour le prochain et Action de Carême dénoncent à nouveau l'activité de Glencore au Congo

Pain pour le prochain et Action de Carême dénoncent à nouveau l'activité de Glencore au Congo

Autrefois champion du «sans commentaire», le groupe Glencore, géant suisse du commerce de matières premières, tente depuis 2013 de se donner une image d’entreprise responsable auprès de ses actionnaires, des autorités et du grand public. Mais une enquête menée sur place par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) et publiée aujourd’hui 17 juin, dénonce violences policières, pollutions, violations des droits de l’homme et optimisation fiscale à outrance. Si quelques améliorations sont constatées, Pain pour le prochain et Action de carême estiment que Glencore pourrait faire nettement mieux, alors que Glencore, qui demandait que la publication soit repoussée d’au moins un mois, nie tout en bloc.

Photo: Des mineurs à l’entrée d’une mine © Pain pour le prochain, Chantal Peyer

A en croire le rapport annuel 2013 de GlencoreXstrata, l’entreprise –rebaptisée Glencore depuis– est un modèle de développement durable et de respect des droits de l’homme. «Nous nous engageons à respecter les bonnes pratiques commerciales, à atteindre ou dépasser les lois applicables et à appliquer d’autres exigences externes. Nous nous efforçons d’adopter une approche sûre et durable de nos activités, et à contribuer à la croissance socio-économique des communautés dans lesquelles nous exerçons nos activités.»

Une mine exploitée dans une réserve

Pourtant, l’entreprise Mutanda Mining, l’une des deux entreprises minières contrôlées par Glencore en République démocratique du Congo (RDC), n’hésite pas à profiter d’un dysfonctionnement de l’administration congolaise pour creuser dans une zone protégée en violation des lois sur la protection de la nature. En effet, le cadastre minier a accordé une concession dans une réserve de chasse où toute nouvelle activité économique est interdite. Pire, l’entreprise accélère l’exploitation de cette concession contestée. «Des millions de dollars ont été investis et un véritable village minier a été érigé en moins de cinq ans», relate le rapport. Arguant que son activité tombe sous la responsabilité de la direction ministérielle des mines, Mutanda Mining réfute «profiter d’ambiguïté dans la loi minière».

Selon les ONG, Mutanda Mining et KCC (Kamoto Copper Company), la seconde entreprise minière sous contrôle de Glencore en RDC, relèvent une «importance stratégique» pour le groupe: elles fournissent à elles seules 19% de sa production de cuivre et 82% de celle du cobalt. Ce dernier minerai est nécessaire à la fabrication de nombreux composants électroniques.

L’affaire de la mine exploitée en pleine réserve naturelle n’est qu’un des exemples du rapport de Pain pour le prochain et Action de carême en collaboration avec l’organisation anglaise Rights and Accountability in Development (RAID). Fruit d’une enquête de plus de 18 mois, ce troisième rapport sur les activités de Glencore au Congo compile les observations collectées auprès organisations locales partenaires et lors de deux missions internationales et de centaines d’interviews.

Métaux lourds rejetés

Toujours au chapitre des atteintes à l’environnement, les ONG dénoncent les rejets de l’usine de KCC. Le précédent rapport, en 2012, avait dévoilé, le déversement dans un cours d’eau, le canal Albert, d’eaux usées extrêmement acides. Glencore avait immédiatement pris des mesures et l’avait fait savoir aux médias. Mais dans le rapport de 2014, les ONG constatent, image satellites à l’appui que si le lieu de rejet découvert en 2012 n’est plus utilisé, un autre a été créé. Les échantillons pris sur le terrain montrent toutefois que le pH des eaux usées est passé de 1,9 à 5,2. La contamination par des métaux lourds reste, par contre, importante. Le taux de cobalt dans le canal Albert est ainsi 53 fois supérieur aux normes de l’Organisation mondiale de la santé! Des déchets tellement importants que les dépôts sous forme de poudres blanches ou bleues sont visibles à l’œil nu sur les rives du canal (photo ©Pain pour le prochain, Chantal Peyer).

En cours d’enquête, dans une réponse citée par le rapport, Glencore déclare n’avoir jamais eu de tels résultats avec ses propres analyses et rappelle que «KCC n’est pas le seul opérateur minier dans la région et ne peut être tenu pour responsable pour tout déversement résultant des activités d’autres entreprises.» Mais après avoir eu accès au rapport, Glencore demande les coordonnées GPS des lieux de prélèvement et demande des éclaircissements sur la méthodologie employée. Elle réfute les réponses qu’elle aurait données en cours d’enquête et parle de pollutions résiduelles dues à l’exploitation de la mine, avant la prise de contrôle par Glencore. (KCC est une ancienne mine publique sous le régime du général Mobutu.)

Droits humains bafoués

Au niveau des droits de l'homme, les ONG dénoncent les abus de pouvoir de la police et des milices privées chargées d’empêcher les mineurs artisanaux de pénétrer sur les concessions. L’usage de balles réelles y serait fréquent. «Glencore semble avoir adopté un type de réponse militaire à ce qui est, en fait, un problème social complexe», regrettent les ONG. Glencore insiste, pour sa part, sur le fait qu’elle n’a aucune autorité sur le travail de la police des mines, qui est un service public et n’a donc aucune responsabilité face à l’usage d’armes létales pour lutter contre les mineurs artisanaux.

Les rapports avec les communautés locales sont, par ailleurs défaillants, et le rapport cite un exemple de village dont les principales voies de communication sont coupées par des concessions minières (photo ©Pain pour le prochain, Chantal Peyer). Un point que Glencore réfute également.

Dans un courrier envoyé à Pain pour le prochain et Action de Carême, l’entreprise se dit prête à préciser certains éléments et à corriger certaines erreurs, elle demandait pour cela que la publication du rapport soit repoussée d’au moins un mois. Glencore rappelle, également, son obligation de «protéger les intérêts de ses actionnaires» et se réserve ainsi le droit de porter l’affaire en justice au cas où les ONG ne donneraient pas suite à ses demandes.

Impôts évités

Enfin, sur le plan économique, la RDC bénéficie peu de la présence de Glencore. Pain pour le prochain, Action de carême et RAID accusent le groupe de pratique une stratégie d’optimisation fiscale agressive, mais légale. Ainsi KCC affiche systématiquement des résultats déficitaires depuis 2008 et ses fonds propres présentent un déficit de plus de deux milliards de dollars. Selon les ONG, ses pertes s’expliquent principalement par les redevances que KCC paie à des sociétés mères inscrites dans des paradis fiscaux. Glencore évite ainsi de payer impôt et dividendes puisque l’Etat possède encore 25% de KCC. En se basant sur les résultats du groupe Kantaga Mining Ltd dont fait partie KCC, les ONG estiment que ce sont 153,7 millions de francs qui ont échappé à l’Etat congolais depuis 2009. Dans le même temps, l’aide suisse en faveur de ce pays s’élevait à 58 millions. Les ONG demandent une modification de la fiscalité internationale pour imposer aux sociétés de publier leurs comptes pays par pays.

Glencore conteste cette analyse avec la plus grande force. «Les entreprises auxquelles le projet de rapport prétend que les exploitants miniers paient des sommes excessives, ne font, en fait, pas partie du groupe Glencore et ces transactions se font sur la base d’accords commerciaux.» Pour Glencore, il n’y a pas d’optimisation fiscale, mais des investissements. «Plus de 2 milliards de dollars ont été investis par Glencore dans les activités de KCC, mais pour l’heure aucun retour financier pour Glencore n’a eu lieu, que ce soit sous forme de remboursement ou de dividende.»