Daniel et Françoise Larribe: «Nous avions le devoir de faire en sorte que le temps passe»

Daniel et Françoise Larribe: «Nous avions le devoir de faire en sorte que le temps passe»

Ingénieur minier au Niger pour la société française Areva, Daniel Larribe a été l’otage d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) au Mali pendant plus de trois ans. Enlevé avec sa femme et cinq autres personnes le 16 septembre 2010, il s’est retrouvé seul avec un compagnon d’infortune, Thierry Dol, lorsque sa femme a été libérée cinq mois et demie après l’enlèvement. Daniel et Françoise Larribe, étaient à Genève en décembre pour raconter, à l'équipe de Faut pas croire, trois ans d’une vie entre parenthèses, entre espoir et angoisse.

Photo: Daniel Larribe sur le plateau de Faut pas croire (RTS religion)

Propos recueillis par Aline Bachofner, Médiaspro

Daniel Larribe, deux mois après votre libération, le 29 octobre, comment vous sentez-vous?

Bien. Mais je n’ai pas encore vraiment atterri… J’ai trois ans d’ignorance à combler! Je n’ai eu aucun moyen de m’informer pendant ma détention et je ne sais presque rien de ce qui s’est passé en France et dans le monde. D’ailleurs, quand François Hollande m’a présenté sa compagne à la descente de l’avion, je suis resté sans voix… Je ne savais pas qu’il était avec Valérie Trierweiler!

Françoise Larribe, est-ce que vous avez retrouvé votre mari comme avant?

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre! C’est toujours Daniel, mais il a acquis une autre dimension, une dimension plus sereine. Comme si trois ans de désert et de solitude lui avaient permis de faire le point.

Vous avez été retenue en otage pendant presque six mois avec votre mari. Comment faisiez-vous passer le temps?

A partir du 50e jour de détention, nous avons eu l’autorisation de faire du feu. Dès lors, nos journées ont été rythmées par le thé. C’est le moment où nous nous retrouvions avec Thierry, notre co-otage. Le reste du temps, nous essayions d’avoir des vies un tant soit peu autonomes. Daniel et moi, nous nous sommes construits un monde en parallèle avec des jeux de mémoire, de projection dans l’avenir. L’exercice qui nous amusait le plus, c’était d’imaginer le voyage idéal.

Pour permettre à votre esprit de s’évader ?

Françoise Larribe. Oui, mais pas seulement. Nous avions le devoir de faire en sorte que le temps passe et que nous ne soyons pas anéanti par lui. Daniel avait aussi la volonté de me sortir de l’angoisse de la séparation d’avec nos filles.

Daniel Larribe. On s’est tenu mutuellement la tête hors de l’eau.

Quelles étaient vos liens avec vos gardiens?

Françoise Larribe. Moi je n’en ai eu aucun… je suis une femme! Toute la communication passait par Daniel. Ils ne comprenaient pas qu’une femme puisse avoir quelque exigence (un peu d’aspirine, de l’eau pour se laver…). Ma présence les gênait. Nous vivions à quelques dizaines de mètres d’eux, toujours sous leur surveillance.

Daniel Larribe. Les plus jeunes me demandaient parfois de leur donner des cours de français. Ils étaient incroyablement distraits et pas très intéressés… je crois que c’était un prétexte pour entrer en contact avec nous, par curiosité! Nous étions des otages qu’il fallait protéger, nous n’avons pas été maltraités. La seule fois où nous avons été tabassés, c’est lorsque Thierry et moi avons tenté de nous évader… Nous avons vite été rattrapés.

Après six mois de détention, vous avez été libérée Françoise Larribe. Comment ça s’est passé?

Très très rapidement. Le 24 février 2011, des émissaires m’ont informée que j’allais être libérée. Je ne voulais pas partir sans mes deux compagnons, mais Daniel m’a dit que, de toute façon, on n’allait pas me demander mon avis. Il fallait que je rentre pour pouvoir témoigner et rassurer nos filles. Vers 16h, on est venu me chercher. J’étais totalement tétanisée, ça a vraiment été le moment le plus douloureux pour moi, plus encore que l’enlèvement. Je laissais Daniel, je n’avais pas eu le temps de me préparer psychologiquement à cette séparation. C’était très ambigu, j’étais à la fois dans la joie d’être libre et la culpabilité de laisser les autres.

Daniel Larribe, comment avez-vous vécu ce moment?

Avec un gros pincement au cœur. Il fallait faire très vite, on n’a même pas eu le temps de s’embrasser. Je pensais que cet épisode serait un prélude à notre libération. J’avais dit à Françoise qu’avec l’observation de la nature et mon intérêt pour la botanique, je pourrais tenir encore six à huit mois.

Vous avez tenu deux ans et huit mois. Françoise, comment avez-vous vécu avec cette phrase, à des milliers de kilomètres de là?

Pour moi, Daniel exprimait là sa volonté de résistance, et j’ai cru en sa capacité de résister. Je n’ai jamais douté qu’il reviendrait. Arrivée en France, j’ai d’abord retrouvé mes filles, et c’était un bonheur immense, mais en même temps je me sentais amputée. Nos filles ont eu cette parole très significative quand Daniel a été libéré: «ça y est, on retrouve maman. Cette fois, ils ont libéré papa et maman.»

Vous avez été quasiment sans nouvelles l’un de l’autre pendant toutes ces années, comment est-ce qu’on conserve le lien?

Françoise Larribe. Il n’y a pas eu de rupture! Il y a une très belle phrase de Bonhoeffer qui dit qu’on reste lié par l’absence. Le lien est maintenu en avançant, en refusant de baisser les bras, en refusant de penser que Daniel ne reviendra pas. Quand on était en détention, je chantais ce cantique comme un leitmotiv, «Dieu sait ce qu’il te faut, confie en lui ta route». Il m’a accompagné.

Daniel Larribe, comment avez-vous résisté?

En observant la nature, en structurant mes journées et en me construisant une «bulle» pour me protéger. Mon corps était au Mali mais mon esprit était souvent ailleurs. Le premier dimanche de septembre, par exemple. C’est le jour de l’Assemblée du désert, rassemblement des protestants dans les Cévennes à Mialet, le village où nous habitons. Ce jour-là, j’ai vécu en communion avec la communauté protestante. J’ai suivi heure par heure ce rassemblement, en me remémorant le temps où l’on prend le petit-déjeûner, l’accueil de la famille venue pour l’occasion, le culte auquel on assiste, le repas qui suit… ça a occupé toute ma journée!

Depuis votre libération, est-ce que vous retournez parfois en pensée au désert?

Oui, ça m’arrive souvent. A Alès, je regarde parfois une constellation que j’ai beaucoup observée dans le désert et qui nous a servis lorsque nous avions tenté de nous enfuir, parce qu’elle indique le Nord. Il suffit que je la regarde et je suis à nouveau dans le désert. En dépit de tout, je reste passionné par l’Afrique et ses paysages somptueux.

Cet article a été publié dans:
Le quotidien vaudois 24 heures, dans son édition du mardi 31 décembre 2013.