Le milieu évangélique, ceux qui le quittent

Le milieu évangélique, ceux qui le quittent

Pour sa thèse en sociologie des religions, Caroline Gachet s’est intéressée à un phénomène encore peu étudié: la désaffiliation du milieu évangélique. Ou comment certains font le choix de quitter un courant religieux qui par ailleurs connaît un certain succès dans un
contexte moderne comme la Suisse.

, Uniscope

«Lorsque la recherche se penche sur le milieu évangélique, c’est principalement pour s’intéresser à son essor.» Sociologue des religions, Caroline Gachet a choisi d’étudier pour sa thèse, soutenue en juin dernier, un processus en marge: la désaffiliation.

«Analyser pourquoi certaines personnes décident un jour de quitter le milieu évangélique permet de requestionner l’affiliation d’un autre point de vue.»

A l’origine de sa thèse: l’«Evangelical Identity Project». Une recherche dirigée par le professeur Jörg Stolz et le chercheur Olivier Favre à laquelle collabore Caroline Gachet après ses études en sociologie et histoire des religions. «La question centrale de cette grande étude consistait à tenter d’expliquer et de comprendre comment des groupes conservateurs continuent à se perpétuer, malgré les processus de modernisation que connaissent les pays occidentaux.» (...)

Pour tenter d’appréhender ce phénomène, les chercheurs ont donc mené une série d’entretiens avec des membres du milieu évangélique suisse. C’est durant la prise de contact que les chercheurs sont tombés sur une personne qui ne fréquentait plus le milieu.

«L’idée de ma thèse est partie de là. Le choix de quitter le milieu constitue une énigme car, dans les faits, tout pousse à perpétuer l’affiliation.» La jeune sociologue a donc rencontré dix-sept de ces «désaffiliés» pour tenter de mieux comprendre leur décision.

Socialisés dans le milieu évangélique

Le milieu évangélique se caractérise par l’importance conférée à la socialisation. La plupart des affiliés ont grandi dans des familles évangéliques et leurs activités se concentrent autour de ce milieu. C’est précisément cette socialisation importante que certains vont un jour ressentir comme trop étouffante. «Ils commencent à se remettre en question, développent d’autres centres d’intérêt. Petit à petit, les structures du milieu s’effritent.»

Et Caroline Gachet d’évoquer cette jeune femme qui un jour a entrepris un voyage en Arménie. «Sa mère avait glissé une bible dans sa valise. Par défi, la jeune femme s’est demandé si elle allait la lire pendant son voyage. Elle n’y a pas du tout pensé et à partir de là a commencé à se détacher de l’Eglise.»

Une autre spécificité du milieu pesante pour les désaffiliés a trait à la dichotomie particulièrement marquée entre le bien et le mal et «la pression de devoir être toujours parfait». Pour certains, c’est alors un événement bien précis qui va les pousser à s’interroger. Comme cette autre jeune femme qui a découvert que son père avait une maîtresse: «Tu ne t’imagines pas que quelqu’un qui t’a toujours dit que mentir c’était mal va le faire lui-même.»

Garder la foi

Dans les faits, beaucoup même parmi les affiliés trouvent le milieu pesant. «Mais ils vont trouver d’autres ressources pour rester.» Changer d’Eglise par exemple. «Il y a un aspect consumériste important: si cela ne convient pas, on va voir ailleurs.» Ce sont ainsi principalement les Eglises dites «charismatiques» qui parviennent à maintenir les membres dans leurs rangs «en offrant des produits attractifs, où l’aspect religieux n’est pas forcément mis en lumière», explique Caroline Gachet.

C’est donc davantage un milieu qu’une religion que ces désaffiliés quittent. «La plupart d’entre eux ont toujours la foi, mais veulent la vivre plus librement.» Dans la majorité des cas, ils restent en contact avec leur famille «mais évitent d’aborder la question de la religion avec eux».

  • Caroline Gachet travaille désormais à Berne comme conseillère dans la recherche appliquée.