Comment comprendre Pentecôte après Babel?

Comment comprendre Pentecôte après Babel?

A l'origine, Pentecôte et le don de l'esprit faisaient partie intégrante de Pâques, explique François Vouga, professeur de Nouveau Testament aux Facultés de théologie de Bethel et de Wuppertal en Allemagne. Auteur avec Jean-François Favre du récent ouvrage « Pâques ou rien », il livre à ProtestInfo sa compréhension de cet événement, indissociable, selon lui, de la résurrection.

 

Qu’est-ce que Pentecôte?


François Vouga : La fête de Pentecôte, telle que nous la connaissons et telle que les églises chrétiennes la célèbrent aujourd’hui, résulte d’une fragmentation du jour de Pâques. Dans les documents chrétiens les plus anciens, le don de l’Esprit aux disciples de Jésus fait partie intégrante de l’événement de Pâques.

Chacun à leur manière, Matthieu et Jean en rendent compte de façon imagée. Avant d’être élevé et de retourner vers le Père céleste, le Seigneur ressuscité promet sa présence à ceux qu’il envoie dans le monde ou, encore plus concrètement, il souffle sur eux son Esprit.

 

L’idée de fragmenter l’annonce de la Résurrection en trois étapes successives, celle de Pâques, celle de l’Ascension et celle de Pentecôte, est une création de l’auteur de l’évangile de Luc et des Actes des Apôtres. On comprend qu’elle se soit imposée dans nos calendriers de la chrétienté occidentale.

 

Luc fait preuve, ici comme ailleurs, d’un art de conteur qui a le sens de l’image et du détail, et qui sait donner de la vie à ses récits: les langues de feu et l’ivresse apparente de Pentecôte frappent autant les esprits que le nuage dans lequel, à l’Ascension, Jésus échappe au regard de ses disciples.

Qu’est-ce que Pentecôte veut dire?

F. V. : Le récit que Luc fait de Pentecôte combine plusieurs idées. L’une est liée à la fête juive de la Pentecôte, qui était à l’origine la fête de la Moisson et qui, dans le judaïsme, commémore l’Alliance de Dieu avec son peuple. Une autre idée est celle de l’accomplissement des prophéties des derniers temps: Dieu fera don de son esprit à son peuple.

Pour Luc, Pentecôte manifeste donc l’irruption des temps nouveaux qui sera celui de l’annonce du pardon et de la résurrection à toutes les nations. Le fait qu’il soit donné à chacun, dans son récit, de comprendre la prédication des apôtres dans sa propre langue, souligne l’universalité de l’annonce de la bonne nouvelle.

Quels sont les liens entre Pentecôte et Babel ?

F. V. : On ne peut trop insister sur la différence des perspectives et la complémentarité des deux récits. La volonté de réduire la multiplicité des langues en une seule, telle qu’elle s’exprime dans le mythe de Babel, se présente comme une entreprise totalitaire qui entend réduire l’identité de l’humanité à un dénominateur commun: à une seule manière de se dire et donc à une pensée unique.

La destruction providentielle de la tour de Babel met fin à ce projet d’unification et dénonce la déshumanisation qu’il implique. Pentecôte ajoute une dimension à la réflexion: en mettant en scène la prédication des apôtres comme une parole que chacun comprend dans sa propre langue, le récit présente le message chrétien comme une promesse universelle qui s’incarne dans la diversité des personnes et de leurs milieux de vie.

Vous dites que, dans les Actes des apôtres, le récit de Pentecôte développe l’une des dimensions de l’annonce de Pâques. Que signifie Pâques pour vous?

F. V. : La réponse la plus simple et la plus claire se trouve chez l’apôtre Paul. A Pâques, le Crucifié est apparu, s’est fait voir comme le Seigneur vivant. Paul explique le sens et la portée de l’événement: Dieu, en ressuscitant Jésus d’entre les morts, a révélé le Crucifié comme son Fils. Il s’est révélé lui-même comme le Père de cet homme qui avait perdu tout pouvoir et toute dignité, abandonné des hommes et maudit par les lois de la religion. L’événement de Pâques signifie donc tout d’abord un renversement de l’image de Dieu: Dieu n’est pas le dieu des idéaux de perfection, mais un Dieu de confiance.

Il n’est pas le Dieu d’une élection particulière - des bons, des justes, de ceux dont la peau a la bonne couleur - mais il s’est révélé à Pâques comme le Père qui, précisément, reconnaît chaque personne inconditionnellement, indépendamment de ses qualités. Pour le dire avec les mots de Blaise Pascal: il n’est pas le Dieu des qualités - physiques, morales, spirituelles -, mais le Dieu de chaque personne.

Ce renversement de l’image de Dieu signifie évidemment une transformation de l’image de l’humanité: ce ne sont pas les qualités qui fondent l’identité de la personne - on peut d‘ailleurs presque toutes les perdre: beauté, force, santé, mémoire -, mais la reconnaissance de chacun comme vie spirituelle d’un sujet libre et responsable, sans condition et sans préalable. La confiance et la conscience de soi qu’a apportées Pâques explique l’écho rencontré par la prédication des apôtres.


Qu’est-ce que cela implique pour le christianisme aujourd’hui ?

F. V. : Un rappel des valeurs sur lesquelles, qu’elle le veuille ou non, s’est bâtie la civilisation occidentale: l’universalisme d’une part et, ce qui en est la conséquence logique, le pluralisme. La reconnaissance inconditionnelle de la personne humaine implique le respect de chacun dans sa singularité.

Un tel regard posé sur soi-même et sur autrui fonde une pensée qui se refuse à réduire les personnes à des généralités abstraites; et qui n’a pas besoin de se saisir des différences pour affirmer son identité et instaurer des ségrégations. Il est recommandable de juger des actes et des idées, non des personnes.

La thèse de votre livre est que Pâques est le fondement du christianisme, alors qu’aujourd’hui de moins en moins de gens croient dans le miracle de la résurrection, même s’ils adhèrent aux actes et à l’enseignement de Jésus. Cela ne suffit-il pas?

F. V. : L’enseignement de Jésus se présente comme un enseignement parmi d’autres dans l’histoire de la pensée occidentale. On peut lire le Sermon sur la montagne et le comparer aux textes fondateurs d’autres religions et d’autres philosophies. De tous, il y a sans doute beaucoup à apprendre.

Ce que l’événement de Pâques change, c’est qu’il confère à la parole du Ressuscité sa valeur de vérité. L’universalisme du commandement d’amour, qui invite à respecter chacun sans exception, et la nouvelle définition d’une perfection de reconnaissance universelle qui signifie la fin de tous les idéaux de perfection ne constitue pas une opinion parmi d’autre, mais la vérité de l’être humain. Si Jésus est ressuscité.

Pouvez-vous préciser la définition de résurrection ? Doit-on en faire une lecture symbolique, métaphorique ou réaliste ?

F. V. : Les témoins de Pâques rapportent que le Crucifié s’est fait voir à eux et qu’il leur est apparu vivant. Voilà les faits: la proclamation des apparitions du Ressuscité. Or il faut des mots pour rendre compte de l’événement d’une révélation incommensurable avec les expériences connues.

Les témoins de Pâques ont donc emprunté au vocabulaire de leur temps des images qui leur permettent d’en exprimer le sens: des métaphores comme “être réveillé” ou “se lever” étaient déjà employée dans le judaïsme pour parler d’une résurrection du peuple d’Israël ou des justes à la fin des temps. On comprend bien, cependant, qu’en annonçant que Dieu avait ressuscité Jésus d’entre les morts, le message de Pâques entend témoigner d’un événement d’un tout autre ordre qui intervient dans l’histoire.

 

Faut-il croire en la Résurrection?

F. V. : Bien sûr que non. Il ne faut pas croire à la Résurrection, comme si l’événement de Pâques devait se réduire à une évidence. L’annonce de Pâques n’a rien d’une évidence. Il apparaît, dans l’histoire, comme une singularité absolue que rien ne prépare et qui n’a aucune plausibilité. L’annonce de la Résurrection n’a rien de vraisemblable. Elle interrompt au contraire la pensée humaine par le paradoxe d’une parole libératrice qui nous constitue comme sujets en première personne.

 

Ouvrages récents

  • François Vouga et Jean-François Favre, Pâques ou rien. La Résurrection au cœur du Nouveau Testament, Labor et Fides, 2010
  • François Vouga, Politique du Nouveau Testament, Labor et Fides, 2008
  • François Vouga, Evangile et vie quotidienne, Labor et Fides, 2006
  • François Vouga, Moi, Paul !, Labor et Fides et Bayard, 2005. Voir notre article sur Moi Paul ! paru en 2005