Bernard Lewis analyse le déclin de l’islam

Bernard Lewis analyse le déclin de l’islam

Traduit de l’anglais, le titre de l’essai de Bernard Lewis, « What went wrong ? », est devenu un « Que s’est-il passé ?», qui a perdu de son mordant
Prudence d’éditeur à l’égard d’un livre qui fait mal ? Ecrite avant le 11 septembre 2001, l’analyse du professeur de Princeton, spécialiste du Moyen-Orient, cherche à savoir ce qui a mal tourné pour le monde arabo-musulman après l’extraordinaire expansion de la civilisation islamique et sa suprématie pendant mille ans. Aux intégristes musulmans qui ont tendance à se demander « Qui nous a fait ça ?» en pointant un doigt vengeur en direction de la civilisation occidentale coupable de tous leurs malheurs, Bernard Lewis oppose son analyse des causes de l’énigmatique déclin de l’empire constitué par les Arabes. Il passe en revue les facteurs qui, à son avis, ont entraîné un déséquilibre croissant entre l’islam et le monde occidental. Son analyse radicale prend des allures de brûlot.

Il relève d’entrée que l’islam s’est affaibli et enfoncé dans l’ignorance bien avant que les colonialismes anglais et français n’imposent leur domination au 19e et au 20e siècle, précipitant l'appauvrissement des régions colonisées. Parmi les causes du déclin, il relève les résistances du Moyen-Orient dès la fin du Moyen-âge, devant les sciences européennes, d’autant plus surprenantes si l’on considère l’immense contribution de la civilisation islamique à la naissance de la science moderne.

§L’oppression des femmes en causeIl désigne le statut juridique d’infériorité assigné aux femmes, encore plus mal loties que les esclaves et les incroyants en terre musulmane, comme un réel facteur d’affaiblissement des sociétés du Moyen-Orient. Maintenir les femmes dans l’ignorance et l’analphabétisme, c’est à coup sûr priver le monde musulman de l’énergie et des compétences de la moitié de sa population et amoindrir l’éducation des enfants qui leur est confiée. Les tentatives d’émancipation féminine ont été combattues dans les pays socialement et économiquement plus développés du Moyen-Orient par les divers courants prônant le retour à un islam pur et dur. Cela montre bien à quel point la question est cruciale.

Bernard Lewis observe à travers l’histoire, ce que les sociétés musulmanes, confrontées aux victoires militaires, technologiques, économiques et culturelles de l’Occident, ont choisi d’emprunter et de refuser de la modernité occidentale; comment elles ont misé sur une seule et unique richesse, le pétrole, et enfin comment elles ont légitimé des pouvoirs despotiques. Face au « péril » occidental, certaines sociétés se sont repliées sur leurs origines religieuses pour renouer à la grandeur passée de la civilisation islamique. Ce retour à la sainte loi révélée par Dieu ignore tout de la société civile et des principes démocratiques et rejette catégoriquement la laïcité. une attitude qui ne peut que figer une société.

Bernard Lewis ose mettre en cause ce que les musulmans ont fait de l’islam plutôt que de chercher à comprendre ce que l’islam a fait des musulmans. Pour l’observateur occidental qu’il est, c’est en fin de compte de manque de liberté dont souffre le monde arabo-musulman : manque d'indépendance d'esprit, affranchi des dogmes et de la censure, liberté de l’économie débarrassée de la corruption et de l’incurie, liberté des femmes délivrées de l’oppression masculine ; liberté des citoyens affranchis de la tyrannie. Ce n’est qu’en unissant leurs talents, leur énergie et leurs ressources, en renonçant à leurs griefs et en surmontant leurs querelles, que les peuples du Moyen-Orient pourront, d’après l’auteur, sortir du funeste engrenage de la haine et du ressentiment, de la fureur et de l’auto-commisération, de la pauvreté et de l’oppression. Et renouer avec un haut niveau de civilisation.

§Bernard Lewis, « Que s’est-il passé ? L’islam, l’occident et la modernité, 223 pages, septembre 2002, éd. Gallimard.