Les protestants allemands renoncent officiellement à convertir les juifs

Les protestants allemands renoncent officiellement à convertir les juifs

Bien que des mesures avaient déjà été prises en ce sens, l’Eglise protestante d’Allemagne a formellement renoncé à évangéliser les juifs lors de son dernier Synode annuel. Cette décision a suscité quelques réticences du côté des membres évangéliques de cette Eglise.

Bien que des mesures avaient déjà été prises en ce sens, l’Eglise protestante d’Allemagne a formellement renoncé à évangéliser les juifs lors de son dernier Synode annuel. Cette décision a suscité quelques réticences du côté des membres évangéliques de cette Eglise.

RNS/Protestinter

Photo: Statuettes en plastique à l’effigie de Luther sur la place principale de Wittenberg, en Allemagne. ©RNS/Reuters/Fabrizio Bensch

S'attaquant à une question délicate au début de l’année jubilaire des 500 ans de la Réforme, la principale Eglise protestante d'Allemagne a officiellement renoncé à sa mission de convertir les juifs au christianisme. Dans les faits, l'Eglise protestante d’Allemagne (EKD), composée de 20 Eglises régionales à la fois luthériennes, réformées et unies, avait majoritairement renoncé à convertir les juifs dans les décennies qui ont suivi l'Holocauste, et renoncer à cette pratique aurait dû être une formalité. Mais abandonner officiellement la «Judenmission», ou mission auprès des juifs, a comporté quelques difficulés théologiques.

Dans l'Evangile de Matthieu, Jésus ordonne à ses apôtres de «faire des disciples de toutes les nations». Certains petits groupes d'évangéliques, à l’interne des Eglises membres, s'opposent depuis longtemps à une déclaration officielle contre la conversion, malgré les sollicitations des groupes juifs.

Le synode annuel de l'EKD, (le Parlement de l'Eglise), a finalement rédigé une résolution qui a été adoptée à l'unanimité le 9 novembre à Magdebourg. Celle-ci affirme que les chrétiens «ne sont pas appelés à montrer à Israël le chemin vers Dieu et son salut. Puisque Dieu n'a jamais renoncé à son alliance avec les juifs, son peuple élu, ils n'ont pas besoin d'embrasser la nouvelle alliance chrétienne pour être sauvés. Tous les efforts pour convertir les juifs contredisent notre conviction que Dieu est fidèle et Israël demeure élu.» Le fait que les chrétiens voient Jésus comme leur sauveur et pas les juifs est «l’affaire de Dieu».

Josef Schuster, président du Conseil central des Juifs en Allemagne, s'est félicité de cette décision, que ses coreligionnaires demandaient à l'EKD depuis plusieurs années. «Cette renonciation claire de la Mission auprès des Juifs signifie beaucoup pour notre communauté,» a-t-il affirmé. «Avec ce geste, l'EKD reconnaît la souffrance qu’a engendrée la conversion forcée de nombreux juifs au cours des siècles.»

L'antisémitisme de Luther

Au cours de la dernière décennie, l'EKD a travaillé pour préparer l’année de commémorations des 95 thèses de Luther, dont la légende dit qu'il les a clouées sur la porte de l'église de Wittenberg le 31 octobre 1517. Les luthériens du monde entier marqueront l'anniversaire, mais l’épicentre des célébrations sera en Allemagne.

Bien qu'il ait initialement exprimé son inquiétude pour le sort des juifs dans l'Europe médiévale, et espéré les amener à la foi chrétienne, Luther a ensuite changé sa manière d’agir et, dans un traité intitulé «Des Juifs et de leurs mensonges», il a conseillé à ses lecteurs de brûler leurs maisons et leurs synagogues, et de confisquer leur argent.

La renonciation de la Mission auprès des juifs fait partie d’une campagne plus vaste de l'EKD pour affronter ces origines antisémites embarrassantes, afin que le Jubilé de la Réforme puisse se concentrer sur les autres legs de Luther. Le synode de l'EKD a dénoncé l'année dernière la «haine explicite à l’encontre des juifs» dans les écrits de Luther, et a reconnu que son antisémitisme avait inspiré les nazis plusieurs siècles plus tard. Dans les faits, le synode de l’EKD avait rompu avec l'antisémitisme théologique traditionnel en 1950, lorsqu’il a déclaré que l'alliance de Dieu avec les juifs était toujours valide. Mais ce n'est que dans les années 1990 que la plupart des Eglises membres se sont clairement positionnées contre les efforts d'évangélisation.

L'EKD n’est pas la seule Eglise à avoir mis du temps à changer son approche des juifs: l'Eglise catholique romaine a renoncé à son antisémitisme théologique en 1965 avec le document pionnier «Nostra Aetate» lors du Concile Vatican II. En décembre dernier, soit cinquante ans plus tard, le Vatican a publié une déclaration claire selon laquelle «l’Eglise ne mènera ni ne soutiendra une mission institutionnelle spécifique dirigée vers les juifs».

Une autre approche chez les luthériens américains

L'Eglise évangélique luthérienne en Amérique, le plus grand groupe luthérien des Etats-Unis et l’une de ses dénominations principales, a dénoncé l'antisémitisme théologique dans une déclaration de 1994 et exhorte ses membres engagés dans le dialogue avec les juifs à «respecter les préoccupations de nos prochains». Le Lutheran Church-Missouri Synod, la deuxième plus grande Eglise luthérienne aux Etats-Unis, a également dénoncé les diatribes de Luther contre les juifs mais suit son injonction «de prier pour eux, afin qu'ils puissent se convertir».

En Allemagne, la plupart des évangéliques n'appartiennent pas à l'EKD qui compte 23 millions d'habitants, mais à l'Alliance évangélique allemande, qui compte plus d'un million de membres. Cependant, certains évangéliques sont restés dans les églises régionales de l’EKD et ont longtemps défendu une sorte d’évangélisation des juifs. Ils sont les plus nombreux dans l'Eglise régionale du Wurtemberg, autour de Stuttgart, où un groupe appelé le Service de l'Evangile pour Israël s'oppose à la conversion pure et simple, mais soutient les «juifs messianiques» qui acceptent Jésus comme le sauveur d'Israël. Ce groupe prétend compter plus de 1000 membres, dont des migrants venus de Russie depuis la chute du communisme en 1991. En Bavière, une communauté se faisant appeler Chrétiens confessants – nom qui évoque les protestants qui s'opposaient à Hitler – était contre la renonciation aux efforts d'évangélisation, arguant que cela limiterait la liberté religieuse puisque l’on refuserait aux juifs le droit de changer de foi.

Les Juifs messianiques posent problème

Les débats internes en amont du synode ont porté sur les précisions à apporter à cette décision. Le texte final dénonçait les efforts pour convertir les juifs mais ne mentionnait pas spécifiquement les juifs messianiques, qui acceptent Jésus comme sauveur mais qui ne sont pas considérés comme juifs par le judaïsme traditionnel. On y lit que «le secret de la révélation de Dieu inclut à la fois l'attente du retour du Christ dans la splendeur et la confiance que Dieu sauvera le peuple qu’il a appelé en premier». Certains membres du synode ont estimé que la déclaration aurait dû inclure spécifiquement les juifs messianiques et craignaient que cette omission ne soit comprise comme un moyen de toujours encourager les juifs à se convertir.

Josef Schuster a affirmé qu'il comprenait la renonciation à l'évangélisation comme «s'appliquant également aux soi-disant juifs messianiques, qui ne sont pas juifs». Aussi, Detlef Klahr, un haut fonctionnaire du synode, a déclaré aux journalistes qu'il n'y avait pas d’«échappatoire» dans la résolution, et que l'évangélisation des juifs était désormais clairement exclue.