Le service public dans une société liquide

Le service public dans une société liquide

Protestinfo propose régulièrement des éditos rédigés par des membres des rédactions de Médias-pro.

Directeur de cet office – partenaire protestant de RTSreligion – Michel Kocher écrit une lettre ouverte à Gilles Marchand. L’actuel directeur de la RTS reprendra, en octobre 2017, les rennes de la SSR, l’organisation faitière de l’audiovisuel public suisse.

Photo: CC(by-nc)Stéphane Peres

Monsieur le futur directeur général de la SSR,
Cher Gilles Marchand,

Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer en 2016, dans le contexte tendu des négociations pour l’avenir de RTSreligion. Depuis, le climat s’est apaisé, nous avons trouvé les voies permettant le maintien d’un partenariat éditorial crédible. Pour autant, nos institutions respectives continuent de traverser un ciel dont les turbulences ne sont pas prêtes de disparaître. Or, entre les Eglises et la SSR, il y a des proximités qui ne sont pas le fruit du hasard, de la conjoncture ou de privilèges dépassés. Ensemble, nous partageons des fondamentaux qui se traduisent aujourd’hui par deux questions cruciales. Qu’est-ce qu’un service public et comment le financer? La SSR doit trouver des réponses à l’échelle suisse, tandis que les Eglises «officielles» les cherchent aux niveaux cantonaux.

La société post-moderne est «liquide» nous expliquent les sociologues. Comment concevoir le service de tous dans ce cadre? La piste la plus simple est celle d’aborder la société comme une addition de consommateurs, que nous sommes invités à satisfaire par niches, autant que par du fast food. Au fond, nous tendons à devenir nous aussi liquides, pour coller au marché. C’est raisonnable, sauf que sur ce chemin nous risquons de trouver plus fort – plus liquides que nous. Cela dit, ce n’est pas une raison pour ne pas s’adapter, évidemment. Le problème que je vois est ailleurs. Nos institutions ont un ADN dont une part déterminante est solide. Comment faire pour laisser à la notion du «service de tous» cette part solide, sans quoi la société risque bien de nous absorber… par liquéfaction.

Il y a une résistance à penser et à mettre en œuvre. Les églises n’ont pas de leçons à donner, elles qui ont souvent joué des scénarios peu glorieux, juste pour ne pas perdre des parts de pouvoir… pardon des parts de marché. Pour autant, au cœur des valeurs qui les portent depuis deux millénaires, dont certaines sont mises en avant à l’occasion des 500 ans de la Réforme, il y a un noyau solide. Sa spécificité, par rapport à la logique «liquide», est de reconnaître à sa mission un centre, qui n’est pas un objectif quantifiable, que ce soit en part de marché ou en nombre de fidèles. C’est plutôt une forme de trou noir, un objet intensément dense, qui exerce une force de gravitation extrêmement forte, du très «solide».

Vous le savez bien: ce qui est solide ce n’est pas l’institution, mais ce qui la meut, sa force gravitationnelle interne. Non point l’argent, rouage plus que moteur, mais un assemblage de valeurs, de convictions et de compétences qui s’offrent pour le bien et le service des publics. Paradoxalement ce qui est solide c’est une tension, durable, nécessaire, entre des singuliers (le service ou le bien commun) et des pluriels (les publics, les formats, les intérêts sectoriels). Travaillant depuis plus de 30 ans comme partenaire au sein de la RTS, je me réjouis de participer aux débats que vous pourrez ouvrir, à l’interne et à l’externe, autour de cet ADN de la SSR.

Comme chrétien, je dirais volontiers que la vie, la mort et la Résurrection du Christ sont le trou noir du christianisme, que leur nature théologique ressort du don. Comme journaliste, j’ai tendance à penser qu’un équilibre de moyens entre information, loisir et culture, constitue le trou noir du service public, que c’est aussi un don générant une posture loin de toute suffisance.

Je formule mes vœux pour l’exercice de vos nouvelles responsabilités, me réjouissant, au sein de RTSreligion, de contribuer à servir «l’être ensemble», liquide et solide, de nos concitoyens.

Bien à vous