«La ‘seconde en plus’ a été balayée»

«La ‘seconde en plus’ a été balayée»

Pasteur pendant près de 25 ans au sein de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud, Daniel Rouzeau, revient sur l’évolution du métier de ministre dans une société où la gestion du temps de travail prend le pas sur le contact humain.

Photo: Daniel Rouzeau

Daniel Rouzeau n’a pas toujours été pasteur. Né en 1949 en pleine jungle gabonaise de parents missionnaires, il étudie, une fois rentré en Suisse, à l’école de sport de Macolin (BE) et enseigne cette discipline pendant 12 ans. Changeant de cap dans les années 80, il entame des études de théologie à l’Université de Lausanne et sera consacré dans l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) en 1988. Pasteur à Ouchy puis au centre de Lausanne à l’Eglise Saint-François, ce père de trois enfants a pris sa retraite en 2014, après avoir terminé sa carrière dans la paroisse du Haut-Talent où il réside depuis 41 ans.

Durant toute votre carrière de pasteur, quels sont les changements survenus au niveau des conditions de travail?

J’ai senti une évolution très nette au niveau du temps que nous pouvions consacrer aux paroissiens. Quand je travaillais à Ouchy dans les années 1990, j’avais chaque mois quelques matinées de libre pendant lesquelles je ne programmais rien. J’allais me balader dans les rues de mon secteur paroissial et sonner aux portes pour rencontrer les gens. Je discutais avec des familles, des paroissiens et j’ai vécu des choses extraordinaires, toutes simples, de l’ordre du contact.

Puis, le service de l’Eglise a été recomposé. Jusqu’alors la paroisse avait une place centrale. A partir des années 2000, on a voulu travailler la visibilité de l’EERV qui s’est de plus en plus investie dans la société civile et a mis sur pied d’égalité les services communautaires, les aumôneries et les paroisses. La majorité des paroisses ont fusionné et cela n’a pas été simple pour certains pasteurs de sortir de leur «donjon». Ce changement de structure passant de la paroisse à la région a engendré un éclatement des pourcentages de travail, mais a créé tout de même un nouveau dynamisme.

Sur le terrain des difficultés sont apparues rapidement. Par exemple, à un moment donné, je travaillais à 10% pour la jeunesse, à 40% en paroisse et à 50% pour le ministère «Spiritualité Centre-Ville» dans le cadre de l’Eglise Saint-François. Il m’est arrivé d’avoir trois colloques planifiés au même moment. Et bien qu’il y ait eu interstimulation des services, la gestion du temps devenait impraticable. Nous ne pouvions plus prendre du recul pour pouvoir maintenir une ligne ou en créer une nouvelle. Nous n’avions pas le temps d’entrer en contact avec les paroissiens. Tout le côté «la seconde en plus» a été balayé et c’est vraiment dommage.

Et par rapport à la place du pasteur dans la société civile?

C’est évident que le pasteur a moins de reconnaissance dans la société civile qu’il y a 20 ans même si c’est encore un peu le cas à la campagne. La manière d’être ministre se profile beaucoup plus du côté de l’animateur, de celui qui crée des événements rassembleurs, plutôt que du rat de bibliothèque qu’on vient voir et avec qui on prend rendez-vous.

Il y a aussi eu une évolution dans la demande et dans la reconnaissance des pasteurs comme acteurs du lien social. Par exemple, davantage de services funèbres ont lieu au centre funéraire et ne sont plus vécus en paroisse. Tout comme pour la fête du 1er Août et autres cérémonies, la présence du pasteur est moins sollicitée.

Jusqu’en 2006, c’était l’Etat qui était votre employeur, puis c’est l’Eglise qui a repris cette fonction, avez-vous ressenti une différence?

Personnellement, je n’ai pas senti beaucoup de changement. J’ai trouvé drôlement courageux que nos autorités acceptent de devenir notre employeur. Ils l’ont fait correctement avec les balbutiements des personnes qui découvrent une gestion dont elles n’avaient pas l’habitude. Il y a eu parfois des crispations, mais je crois que chacun a fait de son mieux et ça n’a pas changé grand-chose pour moi.

Est-ce que vous pensez que la grève de la faim du pasteur Daniel Fatzer, qui a secoué l’Eglise au mois de juin et juillet dernier, est liée à la structure de l’EERV?

J’ai le sentiment qu’il y a autre chose derrière, une volonté plus radicale de contester nos autorités.

Avez-vous l’impression que les mouvements évangéliques prennent plus de place au sein de l’EERV que par le passé?

Oui. J’ai l’impression, et peut-être à leur insu, que ces mouvements aimeraient pouvoir essaimer au sein de l’EERV. Quand je constate que les cultes réformés se transforment en cultes évangéliques, je dis non. L’Eglise vaudoise se veut multitudiniste, ouverte à tous, ce qui représente un beau défi.

Le protestantisme porte de belles valeurs. Il faut garder la remise en question des textes, du contexte, la recherche. L’EERV doit garder cette ligne, oser des interrogations fondamentales. Elle en est dépositaire avec d’autres églises partenaires.

Si vous deviez recommencer, est-ce que vous vous relanceriez dans une carrière pastorale?

Si c’était à refaire, je recommencerais demain.