Lettre ouverte à mon Eglise qui souffre (et moi avec)

Lettre ouverte à mon Eglise qui souffre (et moi avec)

Protestinfo laisse régulièrement carte blanche à des personnalités réformées.

Jean-François Ramelet, pasteur de «l’esprit sainf — une oasis dans la ville» à Saint-François, au cœur de Lausanne livre son analyse de la crise que traverse l’Eglise réformée vaudoise.

Photo: CC(by) Yasser Alghofily

Ne nous y trompons pas, le conflit sans merci qui oppose un ministre aux autorités de l’EERV n’est que le symptôme d’une crise plus profonde et menaçante. Nous assistons avec impuissance à l’exil de notre Eglise (mais pas que la nôtre) hors de la culture et de la société. Alors que l’Eglise et le message dont elle est porteuse, étaient encore il n’y a pas si longtemps au milieu du village (dit-on), ils sortent lentement mais sûrement du radar de la plus grande partie de nos contemporains. La vision du monde et des humains que véhiculait l’Evangile a infusé et imprégné les valeurs de notre société: respect des victimes, valorisation de l’individu, égale dignité de l’homme et de la femme et j’en passe; mais nos contemporains ne perçoivent plus la pertinence de cette Parole venue de loin et qui fait référence à une transcendance que beaucoup pensent inutile, voire dangereuse.

Du côté des ministres, dont je suis, le monde change tellement vite que sa lisibilité comme celle de notre vocation en devient difficile rendant toujours plus délicat voire périlleux d’articuler une parole qui fasse sens. Devant ces défis pointus, ministres et laïcs sommes souvent décontenancés et démunis parce que nous avons hérité d’une compréhension de l’Eglise et du monde qui n’est plus à jour et qui nous met en porte-à-faux avec lui.

S’ajoute à cette complexité la fragilité institutionnelle du protestantisme. Chez nous, ce sont les ministres et les fidèles qui portent l’Eglise plus qu’ils ne sont portés par elle. Dans tous les domaines de la vie d’Eglise, rien de ce que les ministres sont appelés à délivrer, n’est assimilable à une «prestation de service» qui par définition est standardisable. Le travail du ministre relève du «sur-mesure» différent et nouveau à chaque fois. C’est très stimulant, souvent magnifique, mais cela peut aussi être redoutable et même vertigineux. Ainsi —pour ne prendre qu’un exemple —, il n’y a plus en Eglise de programme ni de contenu catéchétique défini par l’institution; tout repose sur le génie, le talent et les compétences de chaque ministre qui ne doit plus savoir lire et interpréter une partition, mais créer et concevoir un programme au gré des catéchumènes et des milieux sociologiques toujours différents à qui il s’adresse. Heureusement, il arrive que certains collègues mutualisent avec profit leurs forces et leurs élans. La même remarque vaut pour les mariages, les services funèbres, les baptêmes, la prédication.

«Le ministre du Saint Evangile» ne fournit pas un service, mais il met en scène une célébration à chaque fois unique, qui doit s’ajuster à la personnalité des demandeurs et trouver les mots choisis pour y proposer une parole qui fait sens; qui plus est, une parole audible par tous, alors même que les assemblées réunies sont plurielles et multiculturelles. Cela exige qu’en amont, nous ayons su créer un climat de confiance propice à la rencontre avec les époux, les parents, les familles, les catéchumènes, les fidèles et les demandeurs occasionnels.

Ainsi, en Eglise, la personnalité du ministre est-elle extrêmement sollicitée puisqu’il est attendu de lui, un savoir-être et un savoir-faire capable de s’adapter à toutes les situations, et ceci «sans filet», c’est-à-dire sans manuel, sans processus ni procédure, puisque rien ou presque de ce qu’il vit, fait et dit comme ministère ne peut être réduit à des procédures.

J’ai longtemps pensé que nous devions professionnaliser le ministère. J’en suis revenu. La professionnalisation d’un métier vise en effet à diminuer l’impact variable de la personnalité du collaborateur sur les prestations, les services ou les produits qu’il est appelé à fournir. Le ministre est ainsi à chaque fois un pionnier, qui chemine avec pour tout bagage, sa formation, sa spiritualité, sa personne et Dieu.

Pas étonnant donc que la plupart des conflits en Eglise soient des conflits de personnes et de valeurs; dont on sait qu’ils sont les plus violents et les plus difficiles à résoudre. Pas étonnant non plus que des ministres soient en proie au «burn-out», puisque très souvent ils s’exposent eux-mêmes en même temps qu’ils se sentent responsables de «porter» l’Eglise. En cas de difficulté ou d’échec, il n’est pas rare que l’on mette en cause la personnalité du ministre.

La faible régulation institutionnelle du ministère en Eglise ouvre il est vrai un espace de liberté que beaucoup nous envie parce que rare dans le monde du travail. Mais cette liberté, si elle peut être tonifiante, peut aussi se révéler un piège et parfois un esclavage, celui de ne jamais avoir le sentiment d’en avoir fait assez.

Dans ce contexte, seule une solide colonne vertébrale peut nous aider à vivre avec joie le ministère; une colonne vertébrale nourrie par une vie intérieure et spirituelle qui éloignera de nous la peur de ne pas être aimé, et nous permettra de résister à la tentation sécurisante de n’être que le ministre de quelques-uns, d’un fan’s club ou le ministre d’une chapelle plutôt que de l’Eglise multitudiniste.

Oui, il y a crise; elle est redoutable, parce qu’inédite! Mais cette crise appartient à toute l’Eglise et il serait stérile et dommageable de penser qu’il suffirait de désigner des coupables pour s’en sortir. Oui, il y a crise et nous devons trouver en Eglise des moyens de la regarder en face, de la nommer, de l’analyser. C’est du courage qu’il nous faut et beaucoup d’Esprit.