Pour l’amour de Jérusalem, Marie-Armelle ne se taira pas

Pour l’amour de Jérusalem, Marie-Armelle ne se taira pas

Rédactrice en chef du magazine «Terre Sainte», Marie-Armelle Beaulieu se passionne pour Jérusalem depuis trente ans. Malgré les haines, elle garde foi en l’avenir de cette ville trois fois sainte.

Il faudra cinq bonnes minutes pour réaliser que c’est bien elle, à côté de nous. Marie-Armelle a beau être ancienne novice dans un monastère bénédictin et vivre dans l’une des villes les plus religieuses de la planète, elle a le verbe haut, l’œil pétillant et le vêtement coloré. C’est que cette journaliste au parcours atypique n’a pas craint les grands écarts pour vivre la vie dont elle rêvait, au cœur de sa Jérusalem adorée. Une ville dont elle connaît chaque recoin et semble-t-il, la moitié de la population. «Sabah al kheir, bon matin! Comment vas-tu? Buon giorno, tutto bene? Hi, there! How are you?» Les ruelles se suivent et se ressemblent et Marie-Armelle, nullement déconcertée, prend le temps d’un mot gentil à chacun sur le chemin d’un restaurant de houmous si convaincant que l’on aura du mal à s’en extirper.

Six ans de méditation sur le Mont des Oliviers

«Je ne sais pas si c’est moi qui ai choisi Jérusalem ou si c’est Jérusalem qui m’a choisie», confie-t-elle avec un sourire. Venue en pèlerinage en 1986, «j’ai senti dans mes entrailles, dès le pied posé à terre, que j’étais à la maison. Un tarmac, pourtant, ça n’est pas spécialement excitant…» Bretonne, Marie-Armelle fait deux semaines de retraite itinérante, se sent «illuminée» par tout ce qu’elle découvre et termine ce séjour mémorable par une retraite au monastère bénédictin du Mont des Oliviers. Elle qui pensait entrer dans les ordres en France change d’avis: c’est sur cette mythique colline qu’elle priera, mangera, travaillera en silence pendant six ans. Elle y observe les allées et venues des fidèles musulmans autour du dôme bleu du Rocher, entend l’appel à la prière et assiste de loin aux innombrables événements qui agitent la ville étalée à ses pieds. Et puis un jour, coup de théâtre: Marie-Armelle quitte les ordres. «La chasteté, ça allait, la pauvreté, ça allait, mais l’obéissance…» Un brin rebelle, elle décide après une longue réflexion de «faire autre chose de ma vie de baptisée».

Une deuxième vie de journaliste

Autre chose, mais quoi? La réponse viendra d’une assistante sociale à Paris. «Je lui ai dit: j’ai fait six ans de couvent et il y a trois millions de chômeurs dans ce pays, je vais servir à quoi? Elle m’a répondu: et si vous deveniez journaliste?» A 29 ans, c’est une nouvelle vie qui commence pour l’enthousiaste Bretonne. Dix ans de secrétariat de rédaction dans un grand groupe plus tard, rebelote: Marie Armelle se heurte à nouveau à un «problème d’obéissance», cette fichue obéissance. Cogite un peu, puis l’évidence lui saute aux yeux: elle sera journaliste à Jérusalem, cette Jérusalem dont elle ne peut plus se passer, elle qui l’a visitée deux fois par an pendant dix ans, accro à ses ruelles, sa chaleur, son houmous. Le Ciel et Marie-Armelle étant plutôt copains, elle apprend à ce moment-là que les franciscains recherchent un rédacteur en chef pour leur magazine appelé alors «La Terre Sainte». «C’était un excellent média, mais il ne ressemblait à rien, il n’était pas aux normes médiatiques modernes. J’ai postulé et… j’ai été engagée!»

«Voir ce qu’il y a de meilleur en chaque homme»

Volontaire de la custodie en Terre Sainte, elle s’applique à rendre vivante chaque jour la devise des franciscains: Paix et Bien. La Bretonne veut «porter un regard chrétien sur ce pays qui n’est pas en paix même s’il n’est pas en guerre comme certains de ses voisins, voir ce qu’il y a de meilleur en chaque homme et qui peut tous les réunir tout en respectant ce qui les sépare». A la table du petit restaurant palestinien où elle termine de déguster un thé brûlant à la menthe et devant lequel passent, pressés, des juifs orthodoxes, la cinquantenaire dit pensivement: «Quand je regarde la vieille ville qui fait moins d’un kilomètre carré, je Lui dis Seigneur, quand même, t’as eu une drôle d’idée en concentrant les trois lieux saints au même endroit. C’est peut-être pour nous apprendre à vivre ensemble?»

En quête des rouages de la paix

Israël, le sionisme, l’antisémitisme, la colonisation, l’apartheid, les droits des Palestiniens… chaque jour circulent dans les médias mille nouvelles et interprétations sujettes à polémique, conflit voire haine. Et elle, Marie-Armelle, comment se situe-t-elle, à la tête d’un magazine d’une religion minoritaire, celle des chrétiens souvent pris en étau entre les deux acteurs du conflit? Souvent en désaccord avec la politique israélienne, critique également des Palestiniens, elle tient à distinguer «l’opposition à l’action politique et les personnes qui en sont porteuses et ne sont pas réductibles à leurs convictions politiques». La rédactrice en chef tient à préciser que Terre Sainte Magazine «laisse sa chance à tout le monde ce qui est admis par tous les protagonistes, même s’ils sont dérangés à l’occasion par tel ou tel propos. Nous, ce qu’on veut, c’est trouver les rouages de la paix». Ces rouages, elle les cherche en allant plus loin que les connaissances basiques qui mènent aux étiquettes. «Lorsqu’on creuse ce conflit, on entre dans un monde de grande complexité», note-t-elle.

Le drame de l’ignorance

Ce qui marque Marie-Armelle, elle qui a des amis tant Israéliens que Palestiniens et circule librement dans tout le pays, c’est la méconnaissance de l’autre. «C’est le drame de la construction du mur. Avant, les Israéliens faisaient leur marché à Bethléem et les Palestiniens travaillaient facilement en Israël. Aujourd’hui, on ne se connaît plus et on fantasme». Elle raconte qu’un habitant de la nouvelle ville de Jérusalem lui a un jour demandé si les Palestiniens mangeaient par terre. «Il n’avait qu’à marcher quelques mètres pour constater que ce n’était pas le cas, mais il y a une telle peur de l’autre que ce n’est plus possible». Et puis, il y a aussi des Palestiniens qui sont certains que les juifs ont besoin du sang des enfants pour faire la matsa, une vieille croyance antisémite. «On est dans le délire total», dit-elle en secouant la tête. Les dernières attaques au couteau n’ont bien sûr rien arrangé: plus personne n’ose mettre les pieds en vieille ville de Jérusalem, les uns par peur d’être poignardés, les autres d’être tués par balles.

Le meilleur et le pire

N’a-t-elle pas envie, parfois, de retourner à une existence plus paisible que celle que lui offre ce pays déchiré? Elle sourit. «Non, jamais. Quelque chose se joue ici, qui transcende les trois monothéismes pour aller dans l’universel. Jérusalem est le meilleur et le pire et éveille le meilleur et le pire en soi, c’est une ville qui exige notre propre conversion». Et de conclure après une dernière bouchée de houmous: «Je suis les paroles du prophète Isaïe: “Pour l’amour de Jérusalem, je ne me tairai pas”».