Des conseillers culturels aident Hollywood à retravailler les stéréotypes musulmans

Des conseillers culturels aident Hollywood à retravailler les stéréotypes musulmans

Les films ou les séries américaines montrent souvent une image négative des musulmans. Afin que les choses changent, des conseillers en culture ou en prononciation travaillent en collaboration avec les producteurs, les réalisateurs et les scénaristes.

Photo: L'affiche d'«American Sniper», DR

RNS/Protestinter

Dans le cadre de son cours «Islam dans le film» à l’Université du Nebraska, le professeur d’études religieuses Kristian Petersen passe au crible des films tels que «Démineurs» (2008), «Argo» (2012) et «American Sniper» (2014) pour faire le point sur les représentations des musulmans sur le grand écran, souvent liées à un récit de conflit. Les personnages musulmans sont soit des terroristes ou bien de «bons» musulmans essayant de surmonter les «mauvais» complots musulmans. Dans les deux cas, ils «sont encore contraints dans une intrigue conflictuelle», qui tourne généralement autour de thèmes tels que le terrorisme, le post-11 septembre ou les interventions militaires à l’étranger.

Mais Hollywood est en train de changer lentement ce paradigme. Tant les écrivains, les scénaristes, les producteurs, que les réalisateurs ont des contacts avec des conseillers culturels et des musulmans, qui font désormais partie intégrante du processus de création des films. Le bureau hollywoodien du Conseil des affaires publiques musulmanes (en anglais «Muslim Public Affairs Council’s Hollywood», MPAC), ainsi que d’autres réseaux informels des universités, des législateurs et des experts d’études régionales sont de plus en plus souvent recrutés par l’industrie du cinéma et de la télévision pour offrir des conseils sur les projets de scénario, pour revoir des images et s’assurer que la prononciation des acteurs soit correcte.

Le cinéaste saoudien Jassim Alsaady, qui a servi comme conseiller culturel et superviseur arabe des dialogues du film saoudien de fiction «A Hologram for the King» (en français «un hologramme pour le Roi») a déclaré qu’il était «dégoûté» par le film «American Sniper» et la représentation qu’il donne à des Irakiens, «un peuple qui veut vous tuer».

«A Hologram for the King», une comédie dramatique basée sur un livre de Dave Eggers, raconte l’histoire d’un vendeur américain désespéré qui se rend en Arabie Saoudite pour lancer un système de téléconférence et finit par se faire avoir par un docteur saoudien, bientôt divorcé, Zahra. Tom Hanks, qui joue le vendeur, a déclaré dans une vidéo: «je pense que la clé pour faire des films maintenant est de surprendre le public... Je ne pensais jamais voir un film sur un gars qui va en Arabie Saoudite et que tout fonctionne pour lui.» Jassim Alsaady, qui vit à Jeddah et à Berlin, a déclaré que le directeur et l’équipe allemands étaient accueillants et réceptifs à ses suggestions. Il faisait partie du processus de distribution des rôles, était consulté sur le script et a été impliqué dans la production et la postproduction du film.

Ce fut le désir de voir de meilleures histoires sur l’islam et les musulmans à l’écran qui ont incité le bureau hollywoodien du MPAC à proposer des consultants pour travailler sur le film de Forest Whitaker et Harvey Keitel «la voie de l’ennemi» (2014) et sur le film de Kristen Stewart et Peyman Maadi Guantanamo «Camp X–Ray» (2014), ainsi que sur les séries télévisées «American Odyssey», «Criminal Minds: Beyond Borders», et «Tyrant». Suhad Obeidi, la directrice du bureau, dit qu’elle a commencé à remarquer un changement positif dans la façon dont les musulmans sont dépeints dans les films et la télévision, il y a environ cinq ans. Elle a l’espoir que l’industrie du divertissement «prenne le virage», mais elle admet que «nous avons un long chemin à parcourir».

Le projet de ressource des musulmans à l’écran et à la télévision (MOST «Muslims on Screen and Television»), fondée il y a huit ans, a une mission similaire: fournir à la communauté créative d’Hollywood des ressources et des informations sur les musulmans en Amérique et partout dans le monde grâce à la consultation de la télévision, à une banque d’histoire et des événements qui mettent la politique et les communautés créatives ensemble. Le MOST, qui travaille en partenariat avec la Brookings Institution et Gallup, met en contacte des experts musulmans avec des écrivains et des producteurs qui cherchent des conseils que ce soit sur la prononciation, le développement du caractère, ou toute autre raison. Le MOST a également envoyé des experts dans plusieurs séries, dont «Grey’s Anatomy», «Army Wives» et plus récemment dans «Madam Secretary» et «Tyrant», un drame qui se concentre sur le plus jeune fils d’un dictateur du Moyen-Orient qui retourne dans son pays natal avec sa femme et ses enfants après avoir vécu 20 ans en Amérique.

«De plus en plus de programmes de télévision... jouent sur des scénarios qui impliquent des musulmans dans la société américaine», déclare Michael Wolfe, le codirecteur du MOST. «La télévision et les films ont permis de comprendre les nouveaux groupes depuis des décennies; la communauté afro-américaine dans les années 1970, les femmes dans les lieux de travail dans les années 1980 et 1990, la communauté LGBT au début des années 1990. Les musulmans, à cet égard, sont les petits nouveaux. Ils sont peu nombreux aux Etats-Unis, mais ils représentent une énorme population à l’échelle mondiale».

Suhad Obeidi explique que les consultants du MPAC ont donné des notes sur les contours et les scripts de la série «Tyrant» et ont également passé en revue les images brutes. Michael Wolfe déclare que «Tyrant est le programme le plus réceptif avec lequel nous ayons jamais travaillé.» Michael Wolfe explique que l’un des scénarios les plus connus sur lequel la plupart des consultants ont travaillé est celui de «Grey’s Anatomy». Deux personnages ont retenu leur attention, des médecins syriens qui sont venus à l’hôpital de Seattle pour apprendre des techniques utilisables en zone de guerre. Le rôle du MOST a été de mettre en contact les écrivains et de vrais médecins syriens, en avril 2013 et d’aider à la mise en scène.

Le travail du MOST avec la série politique «Madam Secretary» a été de trouver un expert irakien pour faire une scène sonore plausible et, d’aider au développement de caractère du mari de la secrétaire, un professeur de théologie de l’Université de Georgetown. Pour le rendre plus crédible, le MOST a mis l’acteur en contact avec John Esposito, professeur de religion de l’Université de Georgetown. «Il est logique que les experts sur l’islam, la politique musulmane, les groupes de militants radicaux, etc. soient consultés. D’autant que même si ces programmes sont des divertissements, ils ont souvent un impact sur les attitudes du public», a déclaré John Esposito.

Dans la série criminelle «Quantico», Yasmine Al Massri, d’origine libanaise, joue deux jumelles, Nimah et Raina Amin, dont l’une est voilée et l’autre pas. Suhad Obeidi, qui n’intervient pas comme consultante dans cette série, aime le fait que cette série soit équilibrée et que le personnage soit capable de différencier l’islam et le terrorisme.

Le professeur d’études religieuses, Kristian Petersen, note qu’il est «très rare» de voir «un personnage complexe qui est un musulman, et n’est pas identifié de manière unique par un trait essentiellement islamique». Il y a des exceptions, souligne-t-il, comme le caractère d’Abed dans le sitcom «Communauty» et Sayid de «Lost», qui «ne sont pas défini par leur pratique religieuse ou par l’identité communautaire, même si ces personnages ont été marqués comme musulmans par les créateurs des programmes.» La représentation plus fréquente des musulmans comme terroristes est «extrêmement dommageable pour la perception des musulmans et de l’islam par le public, parce qu’ils suggèrent à tort qu’il existe un lien entre les musulmans, le fait de commettre des assassinats et le terrorisme intégré dans la foi elle-même», ajoute Sabir Pirzada, un scénariste musulman de San Jose. Sabir Pirzada souhaite que les scénaristes examinent à l’avenir les véritables causes de ces actes de violence, tels que «la politique et la santé mentale».

Les conseillers culturels, bien que faisant partie du processus culturel, n’ont souvent leur mot à dire que sur le résultat. C’est une des raisons pour lesquelles le MPAC organise un sommet annuel à Hollywood. La prochaine rencontre aura lieu le 1er juillet prochain. Lors de cet événement, l’organisation permettra à 15 jeunes dirigeants musulmans de l’industrie cinématographique de visiter les studios et elle tiendra des tables rondes avec des cadres des télévisions. Les sommets précédents avaient donné lieu à des stages et à des emplois, y compris dans les studios 20th Century Fox.

«Je pense que la culture populaire est plus puissante que les politiques du gouvernement», a déclaré Suhad Obeidi. «Le gouvernement peut protéger nos droits civils en tant que citoyens américains, mais il ne peut pas dire aux gens comment ils doivent réagir. Il ne fera pas en sorte que les gens nous respectent, comme nous sommes, ou nous accepte… Un film peut changer les cœurs et les esprits.»