Collaborer avec les sorciers pour envoyer les malades mentaux chez le médecin

Collaborer avec les sorciers pour envoyer les malades mentaux chez le médecin

Un programme kényan fait appel aux guérisseurs pour amener les personnes souffrant de troubles psychiques à faire appel à la médecine.

Photo: Une guérisseuse (à droite) et sa patiente en 2014.

, Kenya, RNS/Protestinter

A travers l’Afrique, beaucoup de gens croient que la maladie mentale est causée par des malédictions, la sorcellerie ou des démons. Dans ces endroits, la médecine traditionnelle est longtemps restée le premier traitement. Cependant, un nouveau programme dans l’est du Kenya vise à changer les perceptions et à aider les personnes souffrant de troubles mentaux à recevoir de meilleurs soins.

La Fondation Africa mental health, une organisation non gouvernementale basée à Nairobi, est partenaire avec un hôpital américain et avec un programme du gouvernement canadien pour recueillir des données sur les patients atteints de maladies mentales via une plateforme en ligne. Cet outil permet aux guérisseurs, aux religieux et à la communauté des professionnels de la santé traditionnelle de travailler ensemble pour diriger ces patients vers les centres de soins médicalisés.

Le partenariat est né d’un besoin aigu: dans le comté de Makueni, situé entre Nairobi et Mombasa, il n’est pas rare de trouver des malades mentaux confinés dans des maisons ou errants dans les rues par manque de soins médicaux et d’installations résidentielles. «Quand il y a des signes de maladie mentale, les membres de la communauté amènent d’abord leurs parents aux guérisseurs traditionnels afin que les démons soient chassés», explique la doctoresse Victoria Mutiso, directrice de la Fondation Africa mental health.

Mais plutôt que de discréditer les guérisseurs traditionnels, la fondation cherche à collaborer avec eux pour permettre à la population rurale du Kenya d’accéder aux soins dont elle a besoin. Le projet est subventionné par le gouvernement du Canada et par les autorités régionales de Makueni. Il fait partie du programme de santé mentale de l’Université Columbia à New York.

Le financement aidera à sensibiliser plus de 160 groupes de professionnels de la santé, de membres du clergé et de guérisseurs. La fondation espère ainsi identifier 6000 cas de maladies mentales probables. Dans sa phase initiale, le projet a permis d’identifier 500 malades mentaux sur près de 1600 patients envoyés à la clinique.

Manque de psychiatres

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que 450 millions de personnes vivent avec une forme de trouble mental. L’OMS avertit que la dépression, le type le plus commun parmi ce genre de maladies, deviendra la deuxième cause de handicap d’ici à 2020. Et selon le Centre africain de recherche sur la population et la santé, 5% de la population africaine souffre de maladie mentale, mais le chiffre est probablement sous-estimé et devrait augmenter considérablement dans les prochaines années.

Le Kenya manque cruellement de ressources pour lutter contre ce problème. Il comprend environ 500 psychiatres et psychologues pour plus de 40 millions d’habitants. Cette pénurie de professionnels, combinée avec des difficultés dans l’approvisionnement en médicaments et la stigmatisation, laisse la plupart de ceux qui vivent avec une maladie mentale sans accès à un traitement, ou même sans un diagnostic.

Elizabeth Muendo, agente de santé communautaire, décare que la population locale ne voit pas la nécessité de fournir un traitement pour les maladies mentales. «La plupart des familles ne pensent pas qu’il est important de dépenser de l’argent pour ce type de traitement», explique-t-elle. «Ils négligent les personnes touchées, croyant que l’on ne peut rien faire pour elles.»

Barrière entre médecine moderne et médecine traditionnelle

Un autre obstacle aux soins est la perception des gens qui sont atteints de maladies mentales. «Il y a encore une énorme barrière entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle, que nous cherchons à briser», souligne la psychologue clinicienne Victoria Mutiso.

Convaincre les guérisseurs, les membres du clergé et les experts médicaux de prendre part ensemble à ce programme a exigé beaucoup de discussions ouvertes et une volonté de protéger le travail de chacun. «Il a fallu beaucoup de dialogues et cela dure encore aujourd’hui, mais ça avance», ajoute Victoria Mutiso. «Pour nous, obtenir d’un guérisseur traditionnel une note de référence écrite, qu’il donne en suite au patient; et que le patient la prenne à la clinique et que le clinicien accepte cette note de référence, c’est un obstacle énorme à casser.»

Dans le cadre de leur formation, les guérisseurs et les membres du clergé religieux apprennent à vérifier les symptômes et remplir les documents qui pourraient aider les médecins à traiter les patients.

Unis par l’aide apportée aux patients

Jusqu’à présent, les guérisseurs traditionnels tels que Queen Muli, un soigneur de Sultan Hamoud, une ville de la région de Makueni, n’ont pas eu l’impression de vivre des tensions avec le clergé ou avec la médecine moderne. «Nous n’avons pas de conflit entre nos différentes approches, car il y a des maladies que nous pouvons traiter et d’autres contre lesquelles nous ne pouvons rien», explique Queen Muli. «Je viens de parler au personnel de la clinique au sujet de problèmes tels que l’abus d’alcool, l’épilepsie et d’autres». Interrogé pour savoir si les notes de références pourraient lui faire perdre des revenus pour les sessions de guérisons traditionnelles, Queen Muli ajoute: «Nous sommes une communauté. Même si nous ne sommes pas dans ce programme, nous nous réunissons lors de rencontres sociales. Je n’ai pas de problème avec eux, et pas non plus avec les cliniques et leurs dirigeants qui enlèvent nos revenus.»

Stephen Juma déclare que le programme a déjà fait ses preuves. La dépression avait presque conduit ce père de 40 ans au suicide une douzaine de fois au cours des dernières années. «Je combattais une voix intérieure qui me disait de me tuer», se rappelle-t-il. «C’est quand j’ai rencontré un pasteur actif dans ce projet que j’ai compris que ce dont je souffrais pourrait être résolu en m’ouvrant à d’autres approches.» Stephen Juma, qui a été envoyé dans une clinique en ville, croit que beaucoup de gens souffrent de troubles mentaux graves, mais qu’ils ont peur de demander de l’aide.

«Nous croyons que venir en aide aux personnes ayant une maladie mentale est ce qui nous rassemble», ajoute Ezekiel Musembi, le secrétaire général de la Fondation Pasteurs.