La dette d’impôt: le doigt dans l’engrenage de l’endettement

La dette d’impôt: le doigt dans l’engrenage de l’endettement

La campagne de mars des centres sociaux protestants brise un tabou: celui de la précarité cachée qui touche de nombreuses personnes. Plus qu’une collecte de fonds, cette action veut rendre hommage aux personnes qui luttent contre les impayés et sensibiliser le monde politique au rôle que jouent les retards fiscaux dans ces cas.

«Je travaillais et je gagnais ma vie, mais juste pas assez pour vivre bien seule avec mon fils. Au début, je prenais l’argent des impôts, pour payer les dépenses exceptionnelles: dentiste, plombier, vétérinaire ou camp de vacances pour mon fils», témoigne Joséphine Jaques. Cette bientôt sexagénaire a bénéficié de l’aide du Centre social protestant (CSP) de Genève pour se désendetter. La suite, c’est une accumulation de factures: «Cela m’a conduit dans une forme de dépression et j’ai commencé à avoir peur de ma boîte aux lettres. Je ne la vidais plus; seulement quand je voyais que le facteur ne pouvait plus rien mettre dedans.» Des courriers qu’ensuite elle n’ouvrait même pas. «Je remplissais des sacs que je cachais au fond des armoires.»

Dans notre pays, de nombreuses personnes sont dans la même situation. «Votre voisine», «votre oncle», «votre collègue» ou «votre grand-mère» «vit dans la précarité avec la peur des lendemains», peut-on lire sur les affiches et les publicités en ligne de la campagne des mars des quatre CSP de Suisse romande. Outre la récolte de fonds pour financer les professionnels qui accompagnent les personnes en situation d’endettement, cette campagne vise également à briser le silence autour de cette situation. «Tout cela est terriblement normal. Un budget normal que des personnes normales ne peuvent plus tenir à cause d’une perte d’emploi, une augmentation de loyer, une fin de droit au chômage… que des situations normales», insiste Hélène Küng directrice du CSP-Vaud.

Mais cette précarité reste dissimulée: «Je me cachais sous mon duvet quand j’entendais le facteur sonner et j’attendais qu’il soit parti pour sortir de mon lit, car j’avais peur de recevoir les commandements de payer», témoigne Joséphine Jaques. «Par contre, je ne laissais rien transparaître auprès de mon entourage.» Cette situation a perduré pendant une quinzaine d’années «J’avais envie de mourir», avoue-t-elle. «Mais depuis que je suis aidée par le CSP et que j’en parle, je me rends compte que je ne suis pas seule. Au CSP, j’ai été acceptée telle que je suis. Jamais je n’ai ressenti de jugement dans les yeux de ma conseillère. Pourtant elle est stricte!» Assistant social au CSP – Genève, Adrien Busch souligne le courage nécessaire pour venir demander de l’aide: «lorsque vous devez montrer toutes vos dépenses à un spécialiste du désendettement, c’est une véritable mise à nu! Les dépenses disent beaucoup d’une personne: ses choix, ses préférences.»

Agir au niveau politique contre la dette d'impôt

Parallèlement à cette campagne d’information et de récolte de dons, les CSP espèrent aussi faire changer les lois. «Il y a des personnes qui vivent dans la précarité alors qu’elles ont un salaire et qu’elles payent des impôts», rappelle Adrien Busch. Or quand les offices des poursuites ordonnent une saisie sur le salaire d’un débiteur, le montant des impôts courants ne fait pas partie du minimum vital d’existence. «Comme tout ce qui dépasse ce montant est saisi pour rembourser les dettes, les personnes saisies ne peuvent pas, même si elles le voulaient, payer leurs impôts. Alors qu’elles remboursent d’autres créanciers, elles s’endettent auprès des impôts. Elles ont donc le sentiment qu’elles ne s’en sortiront jamais!»

Pour lutter contre cela, les CSP intercèdent auprès des cantons pour que ceux-ci apportent des changements à leur loi sur les poursuites, pour inclure les acomptes d’impôts dans le calcul du minimum vital. «Il serait normal que l’Etat soit reconnu comme un créancier différent des autres», estime Alain Bolle, directeur du CSP – Genève. «En effet, contrairement aux autres créanciers, il ne peut pas suspendre ses prestations.»

Si les cantons romands semblent acquis à cette cause, la situation piétine au niveau politique. «En 2012 le Conseiller national Maura Poggia avait déposé une initiative parlementaire allant dans ce sens. Elle n’avait pas été débattue sur le fond, puisque la commission avait jugé que c’était de compétence cantonale. Entre-temps, le canton de Schaffhouse avait alors modifié sa loi, mais le Tribunal administratif fédéral a jugé que cette loi cantonale n’était pas conforme au droit fédéral. Cela prouve que cette question est de compétence fédérale et c’est là que nous tentons d’agir aujourd’hui, au travers des cantons», résume Pierre Amman, directeur du CSP Berne-Jura.

«A terme, nous pensons qu’une solution serait la généralisation de l’impôt à la source. Comme cela, il n’y aurait tout simplement plus de dette d’impôt», ajoute Alain Bolle. Sous ce régime, qui est pratiqué pour les étrangers (sauf permis C), qui travaillent en Suisse, le montant des impôts est prélevé par l’employeur au même titre que les charges sociales.