L’occident met sur pied un véritable arsenal numérique contre Daech

L’occident met sur pied un véritable arsenal numérique contre Daech

Le combat contre le groupe Etat islamique se mène aussi sur internet. Alors que les réseaux sociaux annoncent prendre des mesures contre le terrorisme, les gouvernements mettent en place des stratégies. Principale difficulté, contrer le recrutement de Daech qui se fait pour l’essentiel au travers de messages de personne à personne.

, RNS/Protestinter

Le réseau social Twitter a annoncé récemment avoir suspendu 125'000 comptes depuis mi-2015 pour cause «menace et promotion d’actes terroristes, principalement en lien avec le groupe terroriste Etat islamique». Une annonce qui survient quelques semaines après que Sheryl Sandberg, la directrice des opérations de Facebook a annoncé un partenariat entre le réseau social, le gouvernement allemand et des chercheurs universitaires, entre autres pour combattre l’extrémisme et les discours haineux en ligne.

Plus tôt en janvier, des représentants de la sécurité nationale américaine on tenu une rencontre de haut niveau à la Silicon Valley avec des représentants des principales compagnies technologique pour discuter des efforts à mener en ligne pour contrer l’extrémisme violent, tout en présentant deux nouvelles initiatives du gouvernement: le centre d’engagement mondial du Département d’Etat et la task force du Département de la sécurité intérieure contre l’extrémisme violent. Tous ces efforts sont les réponses du gouvernement à la demande croissante de freiner le recrutement et la mobilisation de jeunes par le groupe terroriste Daech, qui s’est montré si habile dans son emploi des médias sociaux.

Mais des voix s’élèvent et mettent en doute l’efficacité de cette montée en puissance de la guerre en ligne contre le groupe Etat islamique, qui contrôle des pans d’Iraq et de Syrie. Ces critiques se demandent comment trouver un équilibre entre renforcements des règles contre les comportements interdits et censure. Plus largement, le discours de haine peut-il être combattu efficacement en ligne?

Une partie de tape-taupes sans fin

Will McCants, chef de projet à la Brookings Institution sur les relation entre les Etats-Unis et Daech et auteur du livre «The ISIS Apocalypse: The History, Strategy, and Doomsday Vision of the Islamic State» (L’apocalypse de Daech: l’histoire, la stratégie, et la vision de la fin du monde de l’Etat islamique), estime que fermer des comptes est louable, même si cela peut donner l’impression de jouer une partie de tape-taupes sans fin. «Plus il est difficile pour les jeunes d’entrer en contact avec la propagande de Daech, mieux c’est», explique-t-il. «Mais Daech va répliquer et innover et se déplacer vers des plateformes moins visibles pour diffuser son message.»

Nitin Agarwal, professeur en sciences de l’information à l’Université de l’Arkansas, dont les recherches sur l’utilisation des médias sociaux par Daech ont été financées par le Département de la défense, estime que suspendre des comptes sur Twitter (ou YouTube) met des bâtons dans les roues de la propagande du mouvement terroriste, mais seulement momentanément. «Suspendre des comptes ne signifie pas que les idéologies sont suspendues ou que les personnes derrière les comptes sont stoppées», écrit-il. «Le dilemme est alors, que si un compte est suspendu, il ne peut plus être utilisé pour la modélisation comportementale (qui permet d’automatiser la détection de tels comportements). Il faut alors trouver les nouvelles entrées de cet utilisateur sur les réseaux sociaux.»

Valoriser les discours positifs

Le mois passé au World Economic Forum de Davos, Sheryl Sandberg de Facebook a déclaré que le site web collaborait à la détection de la haine en ligne. «Sur notre plateforme, il n’y a pas de place pour la haine et l’intolérance et pour les appels à la violence. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour retirer cela. Non seulement les publications et les appels à la violence, mais les personnes qui en sont les auteurs», a-t-elle ajouté.

Elle a ajouté que le réseau social et également en train d’essayer une nouvelle approche: l’initiative pour le courage civil de Facebook vise à «faire ressortir les bonnes voix.» Elle explique: «Le meilleur des discours contre Daech est celui des personnes qui ont été recrutées par Daech, ont compris quelle est la réalité de ce groupe, en ont échappé et sont revenues pour dire la vérité. Nous estimons qu’amplifier ces voix, véritables réponses aux discours d’appel à la haine, est la meilleure des solutions.» Comme exemple, elle mentionne une page Facebook néonazie en Allemagne qui a été transformée par une attaque de «j’aime» — un groupe de visiteurs ont «aimé» cette page pour pouvoir ensuite la remplir de messages de tolérance.

Une communication discrète de personne à personne

Mais le problème quand on essaie de contrer les messages Daech, c’est que le groupe passe bien plus de temps et de ressources dans des contacts en ligne de personne à personne. Comme le journaliste du New York Times Rukmini Callimachi l’a illustré dans un article au sujet d’une enseignante d’école du dimanche solitaire de 23 ans (dans l’état de Washington), Daech passe des moins à choyer ses futurs soldats. Les recruteurs de Daech communiquent par Skype et Twitter et envoient des cadeaux. Avant que sa grand-mère, puis le FBI n’interviennent, elle avait prévu de rejoindre Daech. «On peut être une jeune fille solitaire dans un état rural d’Amérique et pourtant être connectée avec une organisation terroriste mondiale», analyse Rahaf Harfoush anthropologiste numérique et consultant. «Les recruteurs de Daech donnent leur amitié, le sentiment d’une communauté. Puis ils rajoutent une couche de religion».

Les interventions de personnes à personnes fonctionnent mieux pour décourager les potentielles recrues de Daech, estime également Alberto Fernandez qui jusqu’à l’année passée dirigeait le Centre du département d’Etat de stratégie de communication contre-terrorisme (un prédécesseur du Centre du département d’Etat pour l’engagement mondial).

L’occident manque de positions éthiques claires

Il faut se demander également comment contrer la propagande djihadiste. Carl Ernst, professeur d’études islamiques à l’Université de Caroline du Nord, à Chapell Hill, estime que l’Occident manque de positions éthiques claires. «Il y a un immense sentiment d’injustice. Et cet argument doit être reconnu», explique-t-il. «Si nous voulons que les djihadistes quittent leur combat afin que nous puissions simplement profiter de la prospérité capitaliste alors que d’autres sont dans la misère, nous n’allons pas convaincre grand monde. Avec la rhétorique anti Etat islamique qui gagne en importance, comment persuader les musulmans qu’ils ont une réelle place dans la communauté. La sécurité du régime est mal équipée pour promettre franchement l’inclusion.»

Opérations militaires prioritaires

Alors que le combat en ligne a son importance, de nombreux experts considèrent que la principale priorité est de combattre militairement Daech. Le groupe terroriste se finance principalement par les taxes qu’il impose aux habitants des régions qu’il contrôle, combattants étrangers et populations iraquiennes et syriennes incluses. Avec un territoire plus réduit, il aurait moins d’habitants et percevrait moins d’impôts qu’il pourrait dépenser dans ses opérations militaires, sa propagande et ses opérations de recrutement, estime Will McCants.

La stratégie d’étranglement de l’administration Obama se fonde sur la puissance aérienne pour frapper les convois de Daech et travaille avec des milices locales pour combattre en périphérie. Cela a déjà permis de faire perdre 25% du territoire de Daech en Syrie et en Iraq. Vient ensuite le problème du terrorisme à l’étranger. Même si les choses vont mal avec son protoétat, Daech peut toujours faire rayonner sa marque en lançant des attaques terroristes, telles que celle de Paris et se vanter de ses insurrections dans des pays comme la Libye, le Yémen ou l’Afghanistan.

«Personne ne réfute que combattre Daech sur le terrain physique et, bien entendu, plu important que le combattre en ligne», a déclaré Jared Cohen, directeur de Google Ideas, à Chatham House, un think tank de Londres, le 18 janvier passé. «Mais ces deux domaines ne sont pas mutuellement exclusifs. Ce qui se passe d’un côté à un impact sur l’autre.»

Communiquer sur les succès occidentaux

Une stratégie de contre-terrorisme potentiellement efficace serait de davantage mettre en avant les succès occidentaux, y compris les résumés des attaques aériennes, les cibles touchées et d’autres informations basiques. «Nous n’expliquons pas ce qui se passe», souligne Will McCants. «Nous disons u'ils ont perdu 25% de leur territoire, mais comment l’ont-ils perdu?, pourquoi l’ont-ils perdu? Ce genre d’information n’est pas disponible.»

Pour les experts, l’annonce de Twitter est un bon début. «Daech avait bien plus de liberté en ligne, il y a seulement une année», analyse Alberto Fernandez qui a quitté le Département d’Etat l’an passé et est désormais vice-président de l’Institut de recherche sur les médias du Moyen-Orient. «Les solutions de Twitter ne sont pas des solutions à long terme contre l’extrémisme», ajoute-t-il. «Les compagnies technologiques ne sont pas mieux équipées que les gouvernements, mais, bien sûr, elles sont immédiatement impliquées dans ce qui se passe dans leur propre plateforme. Nous avons besoin que tant le secteur privé que les gouvernements fassent leur job!»